Yvette Lorand, une adolescente au service de la résistance

A l’annonce du Débarquement, le 6 juin 1944, de nombreux Français se laissent envahir par un sentiment ambivalent1. S’ils voient enfin se profiler la libération du territoire qu’ils espèrent depuis des mois, ils prennent également conscience que l’arrivée des troupes alliées marquera le début d’une nouvelle période d’affrontements. Les premières semaines de l’été 1944 confirment malheureusement cette crainte en Bretagne. Face à la multiplication des actes de sabotage, l’occupant engage une traque systématique des résistants. Les stèles qui jalonnent la campagne bretonne rappellent le souvenir de cette répression impitoyable. Inauguré le 6 juin 1965, le monument de Porh-Le Gal, à Moréac, est l’un de ceux-là. En parcourant les noms qui y sont inscrits, on découvre notamment celui d’Yvette Lorand, une jeune adolescente âgée de seulement 16 ans...

La Trinité-Porhoët. Carte postale. Collection particulière.

Née le 19 mai 1928, Yvette Lorand n’a que 12 ans lorsque les Allemands arrivent en Bretagne. Durant les premiers mois de l’Occupation, elle aide occasionnellement ses parents dans le bar qu’ils possèdent à La Trinité-Porhoët. Elle y côtoie alors de jeunes de jeunes Résistants membres des Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) qui finissent par la convaincre de s’engager, comme agent de liaison, au sein du 4e bataillon commandé par Jean Rucard2. Sa couverture apparait d’autant plus solide qu’une femme, de surcroit une adolescente, attire moins la méfiance de l’occupant – ce qui, à bien des égards, n’est pas sans rappeler les déambulations bretonnes de Jeanne Bohec.

A la fin du mois du juillet, en dépit de la multiplication des sabotages dans la région, le secteur de La Trinité-Porhoët reste relativement épargné par les combats. Les Allemands surveillent pourtant attentivement cette zone. Le 31 juillet, vers 6 heures du matin, une quarantaine de cavaliers géorgiens réveille, par de multiples coups de feu, le poste de commandement d’Eugène Caro à Brehan-Loudéac3. La vingtaine de résistants réplique immédiatement et parvient même à tuer quatre assaillants 4. Malheureusement, dans le feu de l’assaut, Yvette Lorand est mortellement touchée. Le corps de l’adolescente, retrouvé quelques heures plus tard, est inhumé dans le cimetière de Bréhan-Loudéac. A la demande de ses parents, il est exhumé le 17 août 1944 pour être enterré près d’eux, à La Trinité-Porhoët5.

Bien qu’Yvette Lorand soit déclarée « morte pour la France », son histoire suscite bien moins d’intérêt que celle de Guy Môquet par exemple. Il est vrai que les logiques conduisant à la mort de ces deux personnes n’est pas la même. Fusillé, le jeune communiste devient rapidement une incarnation d’autant plus iconique de la répression nazie qu’elle est portée à bout de bras par les communistes dans un contexte politique encensant la mémoire de la Résistance : c’est bien le Parti des 75 000 qui est à la manœuvre. Yvette Lorand, elle, est la victime de tirs croisés lors d’un de ces innombrables combats qui annoncent en Bretagne la Libération. De plus, aucun parti ne se saisit, dans une perspective électoraliste, de sa mémoire.

Le monument aux morts de La Trinité-Porhoët. Carte postale. Collection particulière.

Malgré tout, à l’échelle locale, son souvenir reste encore vivace. Inscrite sur le monument aux morts de sa commune natale, elle inspire une chanson à René Le Guénic au début des années 19906. Symboliquement, le 8 mai 2015, un groupe de collégiens, ayant sensiblement le même âge qu’elle au moment de sa mort, entonnent le chant qui lui est dédié, prouvant que « là-bas dans le pays Porhoët, on n’oubliera jamais Yvette ».

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

1 Sur ce point, voir par exemple ALARY, Eric, Les Français au quotidien, Paris, Perrin, 2009 (réed.), p. 407.

2 « Un hommage rendu à l’une des plus jeunes résistantes », Ouest-France, 12 mai 2015, en ligne.

3 HUSSON Jean-Pierre et Jocelyn, « Notice Lorand Yvette, Marie, Françoise », Le Maitron, en ligne.

4 LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre (1939-1945), Mayenne, ERO, 1977, p. 492.

5 HUSSON Jean-Pierre et Jocelyn, « Notice Lorand Yvette, Marie, Françoise », Le Maitron, en ligne.

6 « Yvette avait 16 ans », Ami entends-tu… journal de la résistance bretonne, premier semestre 1991, n°77, p. 5. La partition est disponible dans LE GUENIC, René, Morbihan. Mémorial de la Résistance, Le Faouët, Liv’Editions, 1998, p. 80.