Un webdocumentaire émouvant : Les lettres retrouvées de Louise Pikovsky

Tout chercheur en est convaincu : les archives privées constituent une source incontournable pour écrire l’histoire. C’est ce que nous démontre une nouvelle fois le formidable webdocumentaire réalisé conjointement par la journaliste bretonne Stéphanie Trouillard et par la professeure documentaliste Khalida Hatchy : « Si je reviens un jour. Les lettres retrouvées de Louise Pikovsky ». A plus d’un titre, nous en conseillons la lecture. En effet, si l’histoire émouvante de cette jeune fille juive assassinée à Auschwitz mérite d’être connue, le webdocumentaire nous apporte également un bel éclairage sur la façon dont on fabrique l’histoire.

Cette photographie retrouvée dans le livre édité pour les 50 ans du lycée a été prise lors d’un goûter organisé par les élèves à Janson-de-Sailly pendant la guerre. Louise est au premier plan à droite, Madeleine Rivère est au fond derrière elle.

Le travail des deux femmes est avant tout une remarquable enquête entamée en 2010 lorsque Khalida Hatchy découvre un ensemble de lettres et de photographies dans le lycée parisien Jean-de-La-Fontaine où elle enseigne. Il s’agit d’une correspondance entre une élève, Louise Pikovsky, et sa professeure de lettres, Anne-Marie Malingrey. La majorité des courriers sont datés de l’été 1942.

Oui mais voilà, Louise Pikovsky n’est pas une élève comme les autres. Tous les matins, elle est contrainte d’accrocher à ses vêtements une stigmatisante étoile jaune. Malgré les tragiques rafles qui marquent cette période – la rafle du Vel’ d’Hiv’ a lieu les 16 et 17 juillet 1942 –, la jeune fille évoque peu le sort des juifs. Elle indique seulement que son père est interné à Drancy quelques jours avant d’en être libéré. La jeune fille préfère parler de son quotidien, des pénuries ou encore de ses lectures estivales.

A ce stade, il faut reconnaître que la correspondance offre un intérêt historique limité. Mais un dernier courrier daté du mois de janvier 1944 inquiète le lecteur. L’adolescente écrit en effet :

« Nous sommes tous arrêtés. Je vous laisse les livres qui ne sont pas à moi et aussi quelques lettres que je voudrais retrouver si je reviens un jour. Je pense à vous, au Père et à Melle Arnold, et je vous embrasse. »

C’est à partir de cet énigmatique courrier que Stéphanie Trouillard et Khalida Hatchy entament une enquête qu’elles mènent entre Paris et Jérusalem. En consultant différents fonds d’archives et en collectant de nombreux témoignages de cousins éloignés et d’anciens camarades de classe, elles parviennent à retracer le destin tragique des six membres de la famille Pikovsky. Internés à Drancy le 22 janvier 1944, ils sont ensuite déportés à Auschwitz le 3 février. Comme elle le craignait, Louise ne revient pas de cet ultime voyage…

Auschwitz. Carte postale. Collection particulière.

L’histoire de cette correspondance est également intéressante. En 1988, à l’occasion du 50e anniversaire du lycée Jean-de-La-Fontaine, Anne-Marie  Malingrey décide de l’offrir à l’établissement afin de faire perdurer la mémoire de son élève. Mais le souhait de l’ancienne enseignante est vain et les archives sont oubliées dans une armoire. Il faut attendre plus de 20 ans, en 2010, pour que cette source tombe entre de bonnes mains. Elle est désormais accessible à tous grâce à un webdocumentaire qui nous a convaincu tant pour son interface ludique que pour son propos parfaitement clair et éclairant. Enfin, précisons que si ces lettres ont été déposées au mémorial de la Shoah, elles sont également disponibles en ligne. Une source qui ne manquera pas d’intéresser les historiens.

Yves-Marie EVANNO