Un remarquable outil de travail… et de pédagogie

 

 

Si le livre de P. den Boer, dont une recension est publiée dans ce même numéro d’En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, invite à interroger l’histoire récente des « professionnels de l’histoire »1, l’ouvrage que K. Bene publie chez Codex rappelle le rôle important des éditeurs en la matière2. Et face aux tumultes que subit cette profession, et plus encore lorsqu’il s’agit d’édition scientifique, on ne peut qu’être inquiet à la perspective – malheureusement assez probable – que de tels ouvrages ne puissent plus dans un avenir assez proche paraitre.

Une démarche en voie de disparition ?

Si nombreux sont les éditeurs à avoir compris l’intérêt qu’il y a à publier des sources inédites – en se basant notamment sur le fabuleux destin commercial des carnets du tonnelier Louis Barthas3, qui en serait probablement le premier étonné – rares sont ceux qui osent encore prendre le risque de proposer des recueils complets d’archives. Bien entendu, il ne s’agit pas pour nous de condamner ces choix tant la situation économique du livre est aujourd’hui critique. Mais, force est toutefois de reconnaitre que de tels opus se révèlent plus qu’utiles. Et c’est notamment le cas de cet ouvrage de K. Bene dévolu aux archives de la collaboration militaire, un sujet à la fois sensible et peu connu mais qui donne lieu à un nombre relativement impressionnant d’idioties déversées dans la sphère publique par de prétendus « spécialistes ».

Relève de la garde de la Milice à Paris. Collection particulière.

Spécialiste, K. Bene l’est puisque ce directeur du département de langue et de civilisation françaises à l’Université de Pécs, en Hongrie, a consacré sa thèse de doctorat à la collaboration militaire française pendant la Seconde Guerre mondiale, travail d’ailleurs déjà publié chez Codex en 20124. Et c’est cette parfaite maîtrise du sujet qui permet à l’auteur d’introduire chaque document présenté dans cet ouvrage par une rapide notice, texte détaillant en quelques lignes le contexte de production de ces archives. L’intention pédagogique est ici évidente et nous semble parfaitement tenue. On nous excusera d’ailleurs d’insister sur ce point mais à l’heure où le discours public accorde à l’histoire une telle charge dans l’éducation au « plus jamais cela », quand il ne se vautre pas dans un contreproductif devoir de mémoire qui place au firmament l’émotion pour reléguer au second plan la réflexion, il nous semble plus que nécessaire de confronter le public, qu’il soit jeune ou qu’il le soit moins, aux archives, seules preuves tangibles de ce passé sur lequel on souhaite s’interroger. Or il est assez savoureux de constater que, dans le cas présent, c’est bien à un acteur privé que l’on doit cette initiative qui pourtant nous parait véritablement relever de la notion de « service public ».

Ce sont donc 100 sources issues de fonds variés (Archives nationales et Service historique de la Défense mais également Institut d’histoire du temps présent) qui nous sont présentées en un volume que l’on ne saurait que trop conseiller, et notamment en complément de l’excellent mais hélas trop méconnu Nous avons combattu pour Hitler de Philippe Carrard5. On y verra notamment le contraste entre les archives produites sur le coup et les témoignages a posteriori, le plus souvent éminemment disculpateurs (p. 83-84).
Le volume se compose en cinq grandes parties, découpant le périmètre de cette collaboration militaire française pendant la Seconde Guerre mondiale : la légion des volontaires français contre le bolchevisme, la Légion tricolore, le Service d’ordre légionnaire et la Milice française, la peu connue Phalange africaine et, enfin, les unités françaises de la Waffen-SS. Tout au long de l’ouvrage, le lecteur ne cesse d’être frappé par le singulier trompeur de l’expression française « la collaboration » tant les acteurs en sont en réalité multiples et divers, érigeant entre eux de redoutables rivalités (le rapport du 20 novembre 1941 sur l’influence des partis au sein de la LVF – p. 45-47 – est à cet égard particulièrement évocateur). Et ce sont de multiples funestes figures que ces 100 documents permettent ainsi de croiser, d’Eugène Deloncle (p. 54) à Jacques Benoist-Méchin (p. 169) en passant par Jacques Doriot (p. 55 notamment), Fernand de Brinon (p. 61), Jean Bassompierre (p. 97-98), Joseph Darnand (p. 235-236) et Xavier Vallat (p. 231), sans oublier la figure de Pétain, omniprésente.

A propos de la notion d’engagement

L’intérêt d’un tel ouvrage est évidemment d’apporter de la subtilité au raisonnement, de montrer que les acteurs de la période ne sont pas univoques et que leurs choix sont parfois complexes, rendant par la même occasion délicate la tâche de l’historien. La lettre qu’écrit le 26 juillet 1941 le général Hassler pour arguer de son refus de commander la « légion antibolcheviste » est à cet égard un modèle du genre puisque celui-ci expose (p. 21) :

« Je ne suis ni avec l’Anglais, ni avec l’Allemand. Je demeure 100% Français. […]
Tant que l’Allemagne occupera une grande partie de notre territoire, elle ne peut être sympathique à la grande masse des Français et, en particulier, des jeunes. La ligne de démarcation  odieuse et l’impossibilité d’écrire librement de zone à zone sont des obstacles insurmontables à toute coopération.
La collaboration elle-même, choque. Je suis alsacien par mon père ; du Nord par ma mère, j’ai des parents qui souffrent dans ces diverses régions : Nord et Haut-Rhin. J’ai des frères et neveux prisonniers ; des officiers et soldats de ma division sont toujours en captivité.
Et j’irai prendre un commandement côte à côte avec les Allemands ?
Ceux qui l’ont cru ont manqué de cœur et de cerveau.
Sentimentalité, dira-t-on ? Ceux qui n’ont aucune de ces raisons veuillent bien y réfléchir. Jamais, à aucun moment, je n’ai accepté, ni sollicité un tel commandement.
Je ne m’appelle pas DE GAULLE !
Je n’ai qu’un chef : LE MARECHAL
et un drapeau : le drapeau tricolore ! »

C’est d’ailleurs un discours sensiblement comparable que tient en août 1943 le sous-lieutenant Merlin, rappelant qu’il « est, en effet, contraire à l’honneur militaire de servir sous un uniforme et un drapeau qui ne soit pas celui de sa patrie », argument qui peut justifier un refus d’engagement dans la collaboration militaire (p. 131).

Indépendamment du contexte idéologique, qui comme le démontre l’exemple du général Hassler n’est pas toujours très évident à établir, ce qui frappe est combien ces acteurs de la collaboration militaire franco-allemande pendant la Seconde Guerre mondiale peuvent se révéler « normaux ». C’est ainsi le commandant Simoni du 1/638e RI (638e régiment d’infanterie de la Heer où sont regroupés les volontaires français) qui peste contre le peu de croix de fer accordées aux soldats du rang : à l’en croire, « c’est là une des raisons qui abaissent le moral de la troupe » (p. 87). De même, nombreux sont les documents à insister sur l’importance des contreparties matérielles de l’engagement, diminuant d’autant – ce que regrettent d’ailleurs amèrement les auteurs des archives ici reproduites – la portée idéologique du geste.

La maréchal Pétain avec des volontaires du SOL. Collection particulière.

Certes, cet ouvrage ne concerne pas spécifiquement la Bretagne. Tout juste un rapport des renseignements généraux sur la LVF nous apprend-il que seulement une vingtaine d’engagements sont contractés dans le Morbihan à l’automne 1941 (p. 35). Il n’en constitue pas moins un indispensable outil de travail et, espérons-le, une source bienvenue d’inspiration pour les éditeurs qui souhaiteraient s’engager sur la voie ô combien profitable d’une telle démarche.

Erwan LE GALL

 

 

BENE, Krisztián, Les Archives de la collaboration militaire française de la Seconde Guerre mondiale, Talmont Saint-Hilaire, CODEX, 2015.

 

 

1 DEN BOER, Pim, Une histoire des historiens français, Paris, Vendémiaire, 2015.

2 BENE, Krisztián, Les Archives de la collaboration militaire française de la Seconde Guerre mondiale, Talmont Saint-Hilaire, CODEX, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

3 BARTHAS, Louis, Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, Paris, La Découverte, 1997. 

4 BENE, Krisztián, La collaboration militaire française pendant la Seconde Guerre mondiale, Talmont Saint-Hilaire, Editions Codex, 2012.

5 CARRARD, Philippe, Nous avons combattu pour Hitler, Paris, Armand Colin, 2011.