Brice Lalonde : un Breton à géographie variable
Au cours des décennies 1960-1970, les enjeux environnementaux prennent une place de premier plan dans la société bretonne. Les pollutions maritimes du Torrey Canyon en mars 1967 et de l’Amoco Cadiz en mars 1978 frappent durement les côtes bretonnes et les esprits. Le remembrement des terres agricoles accompagne la modernisation de l’agriculture bretonne. De grands projets d’infrastructure suscitent des contestations d’envergure, notamment la centrale nucléaire de Plogoff et l’aéroport Notre-Dame-des-Landes. C’est alors qu’un « nouveau paradigme politique […] connaît en Bretagne un certain succès »1 : l’écologie politique. Au niveau national, plusieurs personnalités aux profils et sensibilités idéologiques différents incarnent ce mouvement politique. Parmi celles-ci figure un Breton : Brice Lalonde.
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Brice Lalonde, au début des années 1990, lors d'un meeting à Paris. Wikicommons. |
Né en 1946, dans la banlieue de l’Ouest parisien, Brice Lalonde est issu de familles juives alsaciennes et américaines. Dans sa jeunesse, il côtoie régulièrement la Bretagne et plus particulièrement le domaine des Essarts à Saint-Briac-sur-Mer. Ce manoir est l’acquisition de son grand-père maternel James Grant Forbes, un homme d’affaires dont la famille originaire de Boston a fait fortune dans le commerce avec la Chine. Dans les années 1960, le jeune Brice connaît ses premiers engagements politiques à gauche : PSU et UNEF. En mai 1968, il est d’ailleurs le président de la section locale du syndicat étudiant à la Sorbonne. Au début des années 1970, Brice Lalonde devient le président des Amis de la Terre et soutient la candidature présidentielle de René Dumont en 1974. Il se présente par la suite lors d’élections législatives partielles, ainsi que sur la liste Paris écologie lors des élections municipales parisiennes en 1977. Si ces candidatures sont infructueuses, ses ambitions politiques montent d’un cran en 1981, puisque c’est à la magistrature suprême qu’il se présente. Soutenu par le Réseau des Amis de la Terre, dirigé en Bretagne par le rennais Yves Cochet et la lorientaise Renée Conan, il récolte 3,87% des voix sur le territoire national, mais 4,23% sur l’ensemble des cinq départements bretons.2 Toutefois, il est difficile de voir dans ce score une prime au « régional ». Les différents candidats écologistes aux élections présidentielles suivantes réalisent en effet des scores sensiblement identiques : « La Bretagne, un bastion fragile de l’écologie politique », comme le dit l’historien Tudi Kernalegenn.
Au cours du second mandat présidentiel de François Mitterrand, Brice Lalonde occupe différents maroquins ministériels relatifs à l’environnement, dans les gouvernements de Michel Rocard (1988-1991) et d’Edith Cresson (1991-1992). Au cours de ces mêmes années, le mouvement politique Génération écologie se constitue autour de lui, avec des personnalités comme Jean-Louis Borloo et Noël Mamère. Formation concurrente des Verts, classés plus à gauche, les deux partis sont à égalité de sièges – six chacun – à l’issu des élections régionales en Bretagne de 1992.3 Mais les années qui suivent sont un tournant pour la jeune structure présidée par Brice Lalonde. Des dissensions internes conduisent plusieurs personnalités de sensibilité de gauche au départ, Noël Mamère notamment. Brice Lalonde, constatant son incapacité à réunir les 500 signatures nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle de 1995, se rallie à la candidature de Jacques Chirac. Un basculement à droite qui se confirme en 1998 par le rapprochement de Génération écologie du parti Démocratie libérale dirigé par Alain Madelin, alors maire de Redon. Ce virage politique représente la fin des ambitions nationales de Brice Lalonde. Son mouvement périclite, face à des Verts qui participent au gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin, à partir de 1997.
Mais, à rebours des cursus honorum classiques d’hommes politiques, Brice Lalonde voit sa carrière passer d’une envergure nationale à un ancrage local. Lui qui a commencé sa carrière à Paris devient tardivement un élu « de terrain ». En 1995, il remporte la mairie de Saint-Briac-sur-Mer, cette commune de la région malouine qu’il connaît depuis son enfance. Un mandat qu’il conserve jusqu’en 2008. En parallèle, il est élu au Conseil régional de Bretagne en mars 1998 sur la liste d'union de la droite (UDF-RPR-GE), dirigée par Josselin de Rohan.
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Saint-Briac-sur-Mer, le port du Bechet. Carte postale. Collection particulière. |
A partir de 2007, sa carrière d’homme politique écologiste prend une nouvelle tournure, à l’international cette fois-ci. Il est tout d’abord nommé « ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique » par le président Nicolas Sarkozy, grâce à l’appui du Ministre de l’Ecologie d’alors qui n’est autre que son ancien compagnon de route de Génération écologie, Jean-Louis Borloo. En 2010, il part en direction des Etats-Unis, en tant que « coordonnateur exécutif de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20) », nommé par Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU.
Brice Lalonde est donc bien un Breton à géographie variable : tant par sa carrière politique qui s’est tournée vers la région quand sa carrière nationale battait de l’aile ; que par ses origines familiales. Ayant passé l’essentiel de son enfance en région parisienne, son attachement à la Bretagne est avant tout affectif et lié aux grandes vacances passées l’été dans la maison de famille de Saint-Briac-sur-Mer. Une telle trajectoire n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel tant nombreuses les personnes à forger leur relation à la Bretagne sur la base de souvenirs de congés scolaires passés sur une plage de la péninsule armoricaine. Mais plus originale est sans doute la façon dont Brice Lalonde met en scène cette histoire personnelle, comme lorsqu’il accueille son cousin John Kerry – ancien candidat démocrate à l’élection présidentielle américaine de 2004 et actuel Secrétaire d’Etat des Etats-Unis – lors des commémorations du 70e anniversaire du Débarquement en Normandie.
Thomas PERRONO
1 KERNALEGENN, Tudi, « Bretagne, fragile bastion de l'écologie politique », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2014/3, n° HS 10, p. 69.
2 Ibid., p. 83.
3 Ibid., p. 78. |