Charles de Gaulle, un retour vu de Bretagne (1958)

Au début de l’année 1958, la France entame sa quatrième année de guerre – même si celle-ci ne dit pas encore son nom, étant encore reléguée au rang de simple succession « d’événements » – en Algérie. Lassée, une partie de la population souhaite que des négociations soient ouvertes avec le Front de libération nationale en vue d’une issue pacifique au conflit. La question divise l’opinion comme en témoigne les nombreux éditoriaux publiés dans la presse bretonne. Dans La Liberté du Morbihan, le 3 janvier 1958, André Figueras déclare ainsi que si « nous quittons l’Algérie […] nous ne serons plus qu’un peuple de lâches et d’affaiblis »1.

Jacques Soustelle, gouverneur général en Algérie, et le général Massu en 1958. Carte postale. Collection particulière.

L’hypothèse d’une entame des discussions prend forme à la mi-avril 1958 suite à la chute du gouvernement Félix Gaillard. Le démocrate-chrétien Pierre Pflimlin est alors pressenti pour le remplacer. Connu pour ses positions en faveur d’une solution pacifique, ce dernier est vivement contesté par les partisans de l’Algérie français qui souhaiteraient plutôt voir Charles de Gaulle revenir au pouvoir. La contestation se matérialise le 13 mai à l’occasion d’une manifestation à la mémoire de trois militaires français récemment abattus en Tunisie. Un groupe d’activistes favorables à l’Algérie française profite de l’occasion pour prendre, par la force, le contrôle du gouvernement général à Alger puis nomme immédiatement un Comité de salut public dont le général Jacques Massu prend la présidence. Soutenus par l’Armée et les Pieds noirs, le Comité exige dans un premier temps la mise en place d’un gouvernement de salut public (13 mai) puis, dans un second temps, le retour du général de Gaulle (15 mai).

En Bretagne, le putsch d’Alger suscite de nombreuses réactions. A gauche et à l’extrême-gauche, on condamne les manœuvres « fascistes » des « généraux factieux »2. A droite, les réactions sont plus complexes puisque si les gaullistes soutiennent l’idée du retour du chef de la France Libre, les démocrates-chrétiens du MRP maintiennent leur confiance au gouvernement de Pierre Pflimlin dont la nomination a été accélérée en raison des évènements algériens. Dans Ouest-France, le journal qu’il dirige, Paul Hutin-Desgrées, ancien député MRP (1946-1956), affiche ainsi très clairement son soutien au « gouvernement qui connaît l’immensité du péril et fait face à des problèmes cruciaux avec courage et lucidité »3.

Dans un climat extrêmement tendu, les Français attendent les premières déclarations de Charles de Gaulle. Celui-ci rassure une partie de l’opinion à l’occasion de la conférence de presse qu’il tient le 19 mai, lorsqu’il déclare avoir passé l’âge de commencer « une carrière de dictateur », répondant ouvertement à la propagande véhiculée par le parti communiste français. Paul Hutin-Desgrées se félicite cette fois de ces « paroles d’apaisement » et ne tarde pas à donner une nouvelle ligne rédactionnelle pro-de Gaulle – à défaut d’être pro-gaulliste – au principal quotidien breton4. De son côté, le gouvernement Pflimlin ne cède pas, ce qui incite une partie de l’Armée à lancer une première manœuvre sur la Corse le 24 mai.

2 juin 1958: le général de Gaulle à l'Assemblée nationale. Carte postale. Collection particulière.

La métropole est désormais menacée par une opération militaire de grande envergure dont l’ambition serait de porter le général de Gaulle au pouvoir. Le 28 mai, alors qu’une manifestation antifasciste bat le pavé parisien, Pierre Pflimlin démissionne, laissant la voie libre au retour de « l’homme du 18 juin ». Le lendemain, le président de la République, René Coty, décide de faire officiellement appel au « plus illustre des Français ». Ce dernier est alors investi par l'Assemblée nationale le 1er juin puis forme, dans la foulée, un gouvernement de rassemblement réunissant les principaux partis à l’exclusion des communistes. Quelques mois plus tard il propose un nouveau projet de Constitution. Ce dernier est adopté par référendum le 28 septembre, les électeurs bretons lui accordant un véritable plébiscite5. Le 21 décembre 1958, Charles de Gaulle est élu président de la République.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « L’article 80 », La Liberté du Morbihan, 3 janvier 1958, p. 1.

2 Archives départementales du Morbihan, 1526 W 31, note des renseignements généraux, 20 mai 1958.

3 « Le pire des dangers : la dissension », Ouest-France, 17-18 mai 1958, p. 1.

4 HUTIN-DESGREES, Paul, « Paroles d’apaisement », Ouest-France, 20 mai 1958, p. 1.

5 Les Français votent à 79,2 % en faveur de la nouvelle Constitution. Seuls les électeurs des Côtes-du-Nord se montrent moins favorables que la moyenne nationale. A l’inverse, le oui atteint plus de 86 % dans le Morbihan et en Loire-Atlantique, et 87,3 % en l’Ille-et-Vilaine. « Le pourcentage des oui dans le département », La Liberté du Morbihan, 1er octobre 1958, p. 12.