De Gaulle à Pleumeur-Bodou en 1962 : un discours à plusieurs niveaux de lecture

Le Tro Breizh entrepris en 1969 n’est pas l’unique contact du général de Gaulle avec la Bretagne au cours de ses mandats présidentiels, même si son discours prononcé à Quimper le 2 février – son dernier en fonction – reste profondément ancré dans la mémoire collective. Ainsi, sa venue, le 19 octobre 1962, à Pleumeur-Bodou pour inaugurer le Centre de télécommunication par satellite (CTS) est particulièrement intéressante, tant elle permet plusieurs niveaux de lecture. Entre image d’une Bretagne terre de tradition et de modernité, liens entre petite et grande patrie et politique internationale de la France gaullienne, la parole de « l’homme du 18 juin » devenu président de la Ve république se révèle encore une fois un passionnant objet d’histoire. Et dévoile une foi méconnue en la science…

La radôme de Pleumeur-Bodou, emblème du CNET. Carte postale. Collection particulière.

L’arrivée du général de Gaulle à l’aéroport – de Lannion très probablement – est l’occasion de dérouler une pompe impressionnante autour d’un président qui souhaite être désormais élu au suffrage universel direct. Le référendum en ce sens se tient d’ailleurs neuf jours plus tard, le 28 octobre. De nombreux officiels attendent de pied ferme le général à la descente de l’avion : ministres, préfet, mais aussi Pierre Marzin le créateur du CTS, originaire de la région. Sur le tarmac de l’aéroport, le président passe en revue une troupe de jeunes militaires au garde à vous. Puis le cortège présidentiel s’ébranle, derrière une escorte policière, en direction du radôme de Pleumeur-Bodou. Tout au long de la traversée des bourgs trégorois, une foule nombreuse applaudit sur le bord de la route. Le caméraman de l’ORTF – unique chaîne télévision, véritable relais médiatique du pouvoir politique – insiste à dessein sur les clochers typiques de la région, comme pour bien souligner l’image traditionnelle d’une Bretagne terre de catholicisme.

Une fois sur place, l’immense sphère blanche du radôme de Pleumeur-Bodou donne une atmosphère de science-fiction, dans ce paysage bocager où Bretagne rurale et côtière se rencontrent. La présence, au premier plan, d’un menhir en granit – enveloppé dans un drapeau tricolore – renforce encore ce sentiment d’anachronisme entre imaginaire celtique et réalisation futuriste. Mais en une phrase le général de Gaulle parvient à faire la synthèse métaphorique de tous ces éléments : « C'est avec une satisfaction profonde, et j'ajoute avec fierté, que nous inaugurons ce matin, ce menhir, autrement dit ce symbole de la très grande réussite qui vient de se révéler à Pleumeur-Bodou ». Le radôme ne serait donc que le nouveau menhir d’une Bretagne moderne tournée vers l’avenir.

Il faut dire que l’idée de modernité est omniprésente dans la Bretagne des Trente glorieuses. Et le général de Gaulle ne tient pas un autre discours quand il voit dans le CTS « [une] très grande réussite, technique d'abord, […] immense synthèse de la mécanique, de la physique, de la chimie, de l'optique, de l'électricité, de l'électronique ». Quand il évoque le fait « [qu’] il y a ici une œuvre nationale fondée, installée sur le sol breton, une de plus », le président de la République souhaite rappeler que le pouvoir étatique soutient la modernisation de la région en lien avec le C.E.L.I.B. La réalisation de cette « œuvre nationale » a également pour ambition de renforcer les liens entre la Bretagne et l’Etat français : «  Il y a toute sorte de raisons pour lesquelles ce qui se passe en Bretagne, quoi que parfois l'on dise, est particulièrement cher à toute la France ». Certes, cette rhétorique gaullienne peut être comprise comme un vœu pieux qui éloignerait toutes velléités régionalistes voire autonomistes, dans une région qui commence à voir poindre la question identitaire…

L’arrivée sur site du général de Gaulle. Image extraite du journal de l’ORTF diffusé le 19 octobre 1962. L’Ouest- en mémoire.

Mais le radôme de Pleumeur-Bodou est aussi le symbole de l’intégration de la France au concert international de la recherche scientifique. En effet, le général de Gaulle rappelle que « cette station de Pleumeur-Bodou a été accomplie avec le concours de nos amis et alliés américains ». D’ailleurs la première liaison transatlantique a déjà eu lieu le 11 juillet 1962, via le satellite Telstar 1. Et le général place de grands espoirs dans le développement à venir  des nouvelles technologies de la communication :

« Il va de soi que ces rapports, directs, constants, établis entre des continents, grâce à tout ce qui se fait ici, en même temps que cela commence à se faire ailleurs, est pour les rapports entre les hommes, pour leur compréhension réciproque, pour leur amitié, quelque chose qui sera probablement décisif. Le jour vient où il sera bien difficile d'imaginer la guerre, quand tous les hommes, où qu'ils soient, seront en contact direct les uns avec les autres, se verront tels qu'ils sont, et se comprendront, autrement dit, seront les uns pour les autres, des hommes. »

Cinq décennies plus tard, nous ne pouvons que constater, malheureusement que ce jour n’est pas encore arrivé…

Thomas PERRONO