Des Algériens présents en Ille-et-Vilaine en 1958 ?

Les sources dont on dispose rendent difficiles les enquêtes sur la présence des Algériens en Ille-et-Vilaine en 1958. La situation est telle que même les mots posent problème en ce qu’ils obligent à réutiliser des termes qui reflètent soit l’ordre colonial, soit la répression policière. Pour autant, cette réalité archivistique ne doit pas empêcher que soient menées des enquêtes, au risque de tomber dans ce que l’on a pu jadis appeler le tournant linguistique de la discipline historique. Aussi souhaiterions-nous tenter en quelques lignes d’évaluer la présence algérienne en Ille-et-Vilaine en 1958.

La mairie de Rennes, chef-lieu du département d'Ille-et-Vilaine, fin des années 1950. Carte postale. Collection particulière.

Jusqu'en 1914, aucune mention n'est faite des Algériens dans les statistiques d'immigration en Bretagne. Ceci ne doit pas étonner puisque la région est longtemps – quasiment – exclusivement agricole. Or les Algériens ne sont embauchés que dans les zones industrialisées. Mais, avec la Première Guerre mondiale, la Bretagne doit participer à l'effort de guerre et alors apparaissent les premières mentions sur la venue de colonisés, travailleurs inhabituels pour cette région, face au manque de main-d’œuvre. Pendant cette période, à Rennes, 716 Nord-Africains sont ainsi embauchés dans un atelier de construction tandis que 560 autres le sont à l'artillerie indigène.

Dès la fin de la guerre, cette population est rapatriée en grand nombre vers les dépôts de population, comme à Marseille. Au cours des années 1920 et 1930, les statistiques représentent les Africains sujets français comme le troisième groupe de population immigrée en Ille-et-Vilaine. Lors du recensement de 1936, il est dit que les Nord-Africains sont surtout présents dans le Morbihan et on ne dénombre que 33 individus en Ille-et-Vilaine.

Avec la Seconde Guerre mondiale, la Bretagne est à nouveau emportée par les tourments de la guerre, encore plus à partir de la débâcle de la campagne de France, de l’instauration de Vichy et des rigueurs l'occupation. Dès l'été 1940, les chantiers allemands Todt installés dans la péninsule armoricaine attirent des ouvriers de l'extérieur dont de nombreux Nord-Africains. En 1943, on compte ainsi 220 Algériens salariés sur un total de 279 Nord-Africains. Dans une autre catégorie, les Algériens sont 310 sur un total de 362 prisonniers de guerre travaillant dans un camp ou un chantier allemand basé en Bretagne1.

La mairie de Rennes, chef-lieu du département d'Ille-et-Vilaine, fin des années 1950. Carte postale. Collection particulière.

Pendant la guerre d'Algérie, les recensements de la population nord-africaine ne cessent pas, bien au contraire. Ainsi, en 1954, on compte une soixantaine de Nord-Africains à Rennes sur un total de 119 pour l'Ille-et-Vilaine. Sur ce nombre rennais, les autorités estiment que les Algériens peuvent être 50. Sur tout le département, ces Algériens sont évalués à hauteur de 109. Les autorités sont conscientes que les Algériens représentent la majorité de la population nord-africaine du département mais elles constatent aussi que la grande partie de cette population est mouvante, induisant donc un nombre variable de cette population sur le territoire. En 1958, on compte 245 Nord-Africains à Rennes et 57 à Saint-Malo sur un total de 350 dans le département. Un an plus tard, les Nord-Africains se décomptent aux alentours de 300 à Rennes. Des chiffres qui invitent finalement à se demander si, effectivement, l’Ille-et-Vilaine est bien en guerre2.

Charlène DROGUET

 

 

 

 

1 MORILLON, Anne, ETIEMBLE, Angelina, VEGLIA, Patrick et FOLLIET, Delphine, Histoire et mémoire de l’immigration en Bretagne. Tome 1 : Récit historique et mémoire de l’immigration en Bretagne, rapport final d’un appel d’offres de l’ACSE (l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances), à la Direction régionale de Bretagne, Juin 2007, p. 35. 

2 Sur cette question on se permettra de renvoyer à DROGUET, Charlène, « Algérie : L’Ille-et-Vilaine est-elle en guerre ? », in LE GALL, Erwan et PRIGENT, François, C’était 1958 en Bretagne. Pour une histoire locale de la France, Rennes, Editions Goater, 2018, p. 278-301.