Du pinard dans les cartables. A propos d’une étude alarmante publiée en 1958

Le 1er juin 1958, La Liberté du Morbihan publie un communiqué intitulé : « Que boivent nos écoliers ? ». Derrière ce titre relativement banal, se cache une réalité beaucoup plus inquiétante. L’article reprend en effet les termes d’une étude alarmiste commandée par le ministère de l’Education nationale selon laquelle « la boisson la plus répandue au repas de midi dans l’ensemble de la France est, pour les écoliers, le vin étendu d’eau (54% des écoliers), alors que ceux qui boivent habituellement de l’eau pure ne représentent que 15% de l’ensemble ». Heureusement, serions-nous tentés de dire, « moins de 2% » des écoliers consomment alors du « vin pur » lors de leurs repas. Si, un demi-siècle plus tard, cette étude interpelle, elle montre également combien la lutte contre le redoutable fléau de l’alcoolisme est long. Cela fait en effet plusieurs décennies que les autorités civiles (particulièrement les préfets) et religieuses le combattent avec acharnement.

Carte postale photo, 1958. Collection particulière.

A en croire cette enquête, le cas de la Bretagne est inquiétant. Certes, dans les années 1950, le vin y est moins consommé que dans le reste de la France. Mais il est largement remplacé par le cidre, ce qui n’est guère mieux. Pire, ce dernier à la faveur de « 80% » des écoliers morbihannais et costarmoricains. Pour expliquer cette statistique impressionnante, l’article évoque « la pauvreté de nos régions en adduction d’eau véritablement potable ». Or, si cette situation est bien réelle, des solutions existent à l’époque « pour filtrer et épurer les eaux douteuses ». Ce sont donc bien les parents qu’il faut informer puisque, trop souvent, ils « ignorent » l’existence de ces « procédés très économiques »

Qui plus est, l’article, dont le caractère administratif ne laisse aucun doute, s’efforce de faire prendre conscience aux parents des dangers de l’alcool chez les moins de 15 ans. Et pour cause, les études menées dans les années 1950 prouvent déjà que la consommation précoce d’alcool coïncide trop souvent avec une dépendance accrue chez l’enfant devenu adulte, ainsi qu’un risque plus important de développer des maladies mortelles comme la tuberculose. L’article rappelle alors la prescription formulée par l’Académie de médecine : « jamais de boissons alcoolisées pour les enfants. Il en va de leur croissance et de leur santé pour le reste de leur vie ».

Photographie de classe, 1958. Collection particulière.

Si ce type de message parvient progressivement à changer les habitudes des Bretons, force est de constater qu’il s’agit d’un long combat. Il faudra encore plusieurs décennies pour éradiquer la consommation d’alcool chez les plus jeunes. Encore dans les années 1980-1990, combien de grands-parents ajoutaient quelques gouttes de vin rouge à l’eau ou à la limonade de leurs petits-enfants, juste pour « donner du goût »…

Yves-Marie EVANNO