En attendant le facteur

A l’automne 1944, une grande partie de la Bretagne est libérée. Pourtant, il demeure des poches de résistance allemandes dans les secteurs de Lorient et de Saint-Nazaire. De ce fait, si la situation semble apaisée, il ne faut pas pour autant oublier que la guerre continue dans le département du Morbihan. Des opérations militaires sont ainsi menées d’un côté comme de l’autre. C’est le cas, pour ne prendre qu’un exemple, du 20 novembre 1944 lorsqu’une vingtaine d’Allemands sont tués sur la commune d’Arzal dans leur tentative de franchir la Vilaine. Le lendemain, un FFI trouve la mort quelques kilomètres plus loin, à Saint-Dolay, lors d’un nouveau raid ennemi1. Les civils sont également très exposés, et plus encore ceux que l’on nomme alors les  « empochés ». Dans ces conditions, la correspondance s’avère essentielle pour s’assurer de la bonne santé d’un proche.

Carte postale. Collection particulière.

Mais là n’est pas le seul intérêt du bon acheminement courrier. Un pays qui souhaite relancer rapidement son activité commerciale ne peut pas se priver de correspondre, ne serait-ce que sur le plan administratif. C’est pourquoi les autorités départementales décident de rétablir le plus rapidement possible le trafic postal dans les communes « autorisées », c'est-à-dire hors des poches allemandes. Le 30 novembre, le préfet du Morbihan confirme ainsi au commissaire régional de la République que le directeur des Postes « a mis en service quatre circuits automobiles journaliers » et promet la mise en place « rapidement » d’une cinquième ligne2.

Malgré ces efforts, certaines communes du département demeurent isolées. Le 7 décembre, l’inspecteur principal des renseignements généraux de Vannes fait remonter au préfet une plainte des habitants de Mauron3. Ces derniers se plaignent de la lenteur de la circulation du courrier. En effet, une lettre, pour aller de Mauron à Néant, 10 kilomètres plus loin, met en moyenne entre dix et douze jours avant d’être acheminée. Et pour cause, en l’absence « d’auto postale », le facteur de Mauron doit aller chercher lui-même les sacs postaux à Ploërmel. Au retour, il doit donc faire près de 24 kilomètres à pied avec le chargement sur le dos, parfois sous la pluie « comme cela est déjà arrivé ».

Ces communes rurales du nord-est du Morbihan se retrouvent en quelque sorte coupées du monde. Il faut en effet plus de temps à cette lettre pour circuler dans l’arrondissement que pour aller à Paris, soit à peine sept ou huit jours. Pour le commerce local, nul doute que cela constitue un fort préjudice. En effet, un échange entre deux intermédiaires prend au bas mot une vingtaine de jours, ce qui complique indubitablement le négoce des produits frais.

Carte postale. Collection particulière.

Cette situation ne doit cependant pas être généralisée à toute la Bretagne. La mise en place progressive des circuits automobiles permet de combler de mieux en mieux ces lacunes. Ainsi, en Ille-et-Vilaine, le courrier semble déjà être distribué chaque jour dans l’ensemble du département4. Pourtant ces difficultés, aussi futiles puissent-elles paraître, ne doivent pas être ignorées afin de comprendre la lenteur de la reconstruction du pays. Les séquelles du conflit demeurent de nombreux mois et parfois plusieurs années. Il faut ainsi près de cinq ans à la France pour mettre enfin un terme aux restrictions, et bien plus encore pour reconstruire son économie.

Yves-Marie EVANNO

 

1 LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre 1939-1945, Mayenne, Joseph Floch Editeur, 1978, p. 614.

2 Arch. dép. du Morbihan, 2 W 15 630 : Rapport du préfet du Morbihan sur la situation du département pour la période allant du 15 au 30 novembre 1944.

3 Arch. dép. du Morbihan, 2 W 15 630 : Rapport journalier du service des renseignements généraux du Morbihan, 7 décembre 1944.

4 Ibid.