En vacances avec les Debré à Préfailles

Le Pays de Retz est assurément une région de contrastes : zone de marche proclamant haut et fort son identité bretonne, elle n’en est pas moins voisine de la Vendée, un département avec qui elle est parfois confondue. Eloignée des réseaux de la jetset, qui lui préfèrent la très chic La Baule voire Pornic, la petite commune de Préfailles reste un gentil village balnéaire, encore assez populaire, ce qui ne l’empêche pas d’être, encore aujourd’hui, le fief de l’une des plus illustres familles de la droite française : les Debré.

Carte postale. Collection particulière.

C’est le grand médecin français Robert Debré, une sommité régulièrement considérée comme étant le père de la pédiatrie moderne, qui se porte acquéreur à la fin du XIXe siècle du domaine de La Bourrine, aujourd’hui scindé en deux résidences, propriétés des jumeaux Michel et Jean-Louis Debré, petit-fils du célèbre docteur. Si les séjours bretons de la famille ne sont que peu documentés, on peut toutefois deviner à partir des quelques éléments dont nous disposons qu’ils correspondent à ces pratiques de villégiatures qui, encore réservées à la haute société, n’en demeurent pas moins en pleine expansion

Vient ensuite Michel Debré, fils de Robert, Résistant, commissaire de la République, rédacteur de la constitution de la Ve République, Premier ministre de Charles de Gaulle et baron du RPR fondé par Jacques Chirac. C’est là, à Préfailles, qu’il rencontre Anne-Marie Lemaresquier, voisine et fille et du célèbre architecte Noël Lemaresquier, lauréat du grand-prix de Rome et artisan de la reconstruction de Saint-Nazaire après les tragiques bombardements de la Seconde Guerre mondiale : partisan de la « table rase », il s’oppose de ce point de vue à Louis Arretche. Le couple se marie en 1936 et, malgré la carrière fulgurante de Michel, ne s’éloigne jamais trop longtemps du pays de Retz.  Les venues de l’homme d’Etat à La Bourrine sont d’ailleurs bien souvent remarquées puisque celui qui est alors maire d’Amboise, conseiller général d’Indre-et-Loire – jusque-là rien que de très normal – mais aussi député de l’île de la Réunion, arrive régulièrement en hélicoptère. C’est donc tout naturellement que ses enfants, et notamment les jumeaux Jean-Louis et Bernard, passent leurs étés à Préfailles, découvrant les joies du bord de mer. C’est le temps de l’insouciance, de la baignade et des sorties en dériveur, sous les yeux d’un maître avisé : le grand navigateur Eric Tabarly, dont la famille possède de nombreuses terres dans les environs.

Mais les hommes politiques ne sont jamais totalement en vacances et le député Bernard Debré, bien que fort loin de sa circonscription parisienne, n’hésite pas à aller au marché de Préfailles : l’occasion de quelques courses mais aussi de nombreuses poignées de mains et bains de foule. Il reprend là une tradition familiale puisque déjà, en 1974, Michel Debré, son père, alors ministre de la Défense, avait honoré de sa présence un grand méchoui organisé par le Club des amis de Préfailles. 5 ans plus tard, c’est de sa résidence secondaire qu’il répond à une interview sur TF1 pour dire tout le mal qu’il pense de l’action du gouvernement d’alors, confronté au choc pétrolier et à une inflation impossible à juguler.

La côte de Préfailles. Carte postale. Collection particulière.

Bien entendu, un tel voisinage n’est pas sans heurter certaines sensibilités et, de temps à autres, les murs de La Bourrine se dévoilent, au petit-matin, recouverts de slogans témoignant d’une certaine hostilité aux politiques conduites par cette grande famille de la droite française. Le paradoxe est que si les Debré passent leurs vacances à Préfailles, ils ont d’une certaine manière voisiné avec Lénine qui, lui, vient pêcher la crevette à Pornic, en 1910. Curieuse coïncidence qui dit bien la terre de contraste qu’est le Pays de Retz.

Erwan LE GALL