Être de son temps : Yvon Bourges

Elu local, président de région et ministre de la Défense, Yvon Bourges décède en 2009. Le Président de la République salue alors un « éminent serviteur de l’Etat », terme qui fait autant référence à sa carrière « civile » que politique. Pourtant, au vu de ce parcours à bien des égards exceptionnel, c’est bien un sentiment mitigé qui persiste aujourd’hui, comme si celui qui fut aussi maire de Dinard, en Ille-et-Vilaine, n’était pas tout-à-fait de son temps.

Yvon Bourges, alors que ministre de la Défense. Collection particulière.

Yvon Bourges naît à Pau le 29 juin 1921 où son père, officier dans l’armée de l’air, est alors affecté. Ses origines familiales sont bretonnes et il compte parmi ses cousins un certain Hervé, futur président de TF1 de 1983 à 1987. Ayant perdu jeune sa mère, Yvon Bourges suit les différentes étapes de la carrière de son père et multiplie les garnisons pour arriver à Rennes, où il débute des études de droit. Muni de son diplôme d’études supérieures de droit public et d’un certificat d’aptitudes à la profession d’avocat, c’est pourtant dans la préfectorale qu’il débute en 1942 sa carrière. Attaché à la préfecture d’Ille-et-Vilaine, ses pas suivent ceux de Bernard Cornut-Gentille, un breton engagé aux côtés du français libre Emile Bollaert.

Traversant la Seconde Guerre mondiale sans encombre, il dirige plusieurs cabinets préfectoraux à la Libération puis devient en 1947 sous-préfet dans l’Est. Retrouvant l’année suivante son mentor Bernard Cornut-Gentille, il bifurque vers l’administration coloniale, gravit tous les échelons, occupe de nombreux postes prestigieux, jusqu’à être nommé en 1958 par le Général de Gaulle haut-commissaire général représentant le président de la Communauté. Et c’est ainsi que, savoureuse discordance des temps, entré en politique dans les années 1960, Yvon Bourges déclare dans les années 1980 sur la note biographique qui présente son parcours de sénateur exercer la profession de « Gouverneur général de la France d’outre-mer ».

En sonnant la fin de l’Empire, les années 1960 contraignent en effet ce fonctionnaire colonial à changer de carrière. Cela sera la politique, après un bref passage au cabinet du ministre de l’Intérieur où il doit faire face à la guerre d’Algérie finissante et aux opérations de l’OAS. Classiquement, Yvon Bourges construit son parcours verticalement, s’appuyant sur de solides mandats électifs locaux – maire et conseiller général de Dinard – pour gravir les échelons et occuper les plus hautes fonctions. Elu député sous l’étiquette gaulliste en 1962, il conserve son siège jusqu’en 1980, devenant cette année-là sénateur et devançant ainsi habilement la vague rose de l’année suivante. Mais, en réalité, il n’ exerce que très peu son mandat, collectionnant les maroquins ministériels : secrétaire d'État chargé de la Recherche scientifique et des questions atomiques et spatiales en 1965, secrétaire d'État à l'Information et porte-parole du gouvernement l’année suivante, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères en 1967… et enfin ministre de la Défense de 1975 à 1980. C’est ainsi lui qui adopte le fusil d’assaut Famas en 1975 et qui lance le programme Rafale en 1978. En 1986, il devient président du Conseil régional de Bretagne, et succède ainsi à René Pleven et Raymond Marcellin.

Yvon Bourges à Morlaix, lors d'une réunion publique en 1984. Wikicommons.

Trajectoire complexe donc que celle de ce baron du gaullisme qui, classiquement, empile les responsabilités du local au national et truste les mandats, carrière qui ne manque pas d’interpeler aujourd’hui, à l’heure où le non-cumul paraît être la norme. Mais, s’arrêter à cette pratique politique qui, si elle paraît aujourd’hui être périmée, d’un autre temps, n’était en aucun cas choquante à l’époque, serait passer à côté d’une dimension essentielle de ce personnage. Car bien qu’ancien administrateur colonial, Yvon Bourges est aussi un fervent européen. C’est d’ailleurs au soir de sa vie qu’il publie, en 1999, après avoir pris sa retraite politique, son seul ouvrage, au titre évocateur : L’Europe, notre destin1.

Erwan LE GALL

 

1 BOURGES, Yvon, L’Europe, notre destin, Paris, Hachette, 1999.