Histoire d’une image : Germaine Coty

Il est de bon ton aujourd’hui lorsqu’on s’offusque de la peopolisation de la vie politique de convoquer le souvenir d’années 1950 mythifiées et d’avancer le nom de Germaine Coty, femme dont l’image publique est à des années-lumière de cette vedettisation. On nous permettra néanmoins de nuancer cette référence en ce que la starification des responsables politiques n’est pas une nouveauté de la fin du XXe siècle, comme le rappelle par exemple à Saint-Malo, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le mariage mondain de Guy La Chambre avec une chanteuse en vue, Cora Madou. Mais, plus encore, la manière dont sont couvertes dans le célèbre illustré Paris-Match1 les obsèques de Germaine Coty – qui décède le 12 novembre 1955 alors qu’elle et son mari occupent l’Elysée – invite à s’interroger sur la nature réelle de cette image médiatique.

Lors de l'investiture de René Coty. Carte postale. Collection particulière.

Née Germaine Corblet en 1886 au Havre dans une famille aisée – elle est la fille d’un armateur normand qui donnera son prénom à l’un de ses trois-mâts – la future Première dame de France épouse un jeune avocat havrais du nom de René Coty en 1907. Le couple réside avec ses deux filles Geneviève et Anne-Marie sur la Quai aux fleurs de l’île de la Cité, dans le IVe arrondissement de Paris. D’abord conseiller municipal du Havre puis parlementaire, il devient Président de la République en décembre 1953, le 23 décembre, après treize tours de scrutins.

Mais le couple que forme Germaine et son mari René Coty suscite une image dont la normalité ne peut pas ne pas interroger. Ainsi ces phrases terribles jaillies de la plume de l’écrivain et journaliste Pierre Joffroy dans une nécrologie troublante d’acidité :

« Il y a moins de deux ans, cette femme si célèbre n’existait pas pour le monde – parce que son mari lui-même existait peu. René Coty n’avait aucune des qualités qu’on s’attend, un peu niaisement, à trouver chez un futur président : le brillant, la faconde, le goût des grandes et des petites manœuvres. Il avait été député. Il était sénateur. Il avait obtenu un portefeuille en 1947. Il n’en avait plus. Mais il avait autre chose : l’amitié presque générale du Parlement pour sa façon d’être heureux, de dire bonjour, de remercier en souriant, de parler des siens sans le respect humain qui gâte les relations sociales (sic), enfin d’être René Coty, un sénateur d’on ne savait pas trop quel parti – à droite ? à gauche ? au centre ? – mais que chacun croyait définir en disant qu’il était sympathique. »2

Germaine Coty faiusant la une de Paris-Match à l'occasion de son décès. Collection particulière (détail).

Stupéfiante description d’une présidence normale qui, en réalité, ne doit rien au hasard tant elle résulte d’une représentation correspondant à un projet politique. Car cette vision de grand-mère dont on rappelle  à satiété le nombre de petits-enfants, cette image d’une femme qui reçoit les journalistes vêtue d’un tablier enfariné – « elle préparait une pâte feuilletée » narre la légende – s’oppose fondamentalement aux évolutions sociétales de cette France de 1955 plongée dans les  trente glorieuses. S’il est encore trop tôt pour parler de mouvements de libération de la Femme, celles qui ont obtenu dix ans plus tôt le droit de vote voient leurs aspirations changer. Et face à cette évolution, c’est bien une image rassurante, familière et éternelle qu’offre Germaine Coty. En lisant le numéro que Paris-Match lui consacre à l’occasion de ses obsèques, célébrées en grande pompe en l’église de la Madeleine à Paris, on ne peut d’ailleurs qu’être frappé du contraste entre sa rondeur rassurante et la minceur moderne des mannequins qui, dans le même magazine, posent pour des réclames d’horlogers, de cosmétiques ou encore de produits alimentaires.

Erwan LE GALL

 

1 « La France en deuil », Paris-Match, n°346, Samedi 26 novembre 1955, p. 50-68.

2 JOFFROY, Pierre, « La vie exemplaire de Madame Coty », in Paris-Match, n°346, Samedi 26 novembre 1955, p. 64.