L’Ami 8, une voiture bretonne !

« L’Ami 8, un produit breton […] Pour la première fois dans l’histoire de l’automobile une voiture typiquement bretonne, parce que conçue, réalisée et construite par des Bretons. C’est là un des plus beaux fleurons que les usines Citroën pouvaient ajouter à la couronne de l’expansion industrielle bretonne. Exportée dans le monde entier, cette voiture porte le label Bretagne ! »1

Loin de ne vanter qu’un simple marketing territorial, ce reportage Bretagne actualités de l’ORTF du 12 septembre 1969, met en exergue les enjeux de l’industrialisation à l’œuvre dans la Bretagne des années 1960.

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Cela fait alors huit ans que l’usine Citroën s’est implantée à Rennes-La Janais. L’Ami 6 est le premier modèle construit sur les lignes de production bretonne. Mais en mars 1969, lors du salon automobile de Genève, la marque aux chevrons présente une version modernisée de la populaire « 3 CV » : l’Ami 8 est née. Et c’est donc aux usines de Rennes-La Janais qu’elle est construite de « A jusqu’à Z […] par 10 500 ouvriers cadres et ingénieurs [qui] vont d’une matière inerte fabriquer une automobile. » Les ouvriers sont recrutés localement dans les campagnes des environs de Rennes. Un grand nombre sont pluriactifs : ouvriers et paysans à la tête d’une petite ferme.

Du côté de la conception, Michel de Calan, le directeur de l’usine, précise que sur les 50 ingénieurs employés par Citroën, «  60% sont Bretons ». Parmi eux, un certain nombre sont d’anciens expatriés parisiens, revenus dans leur région natale pour travailler sur ce projet unique puisque « c’est la première fois qu’en Bretagne une voiture a été montée et lancée complètement [et] fabriquée par des Bretons ». Ainsi à la question du journaliste : « Avez-vous l’impression que la fabrication d’une voiture dans une usine bretonne est une chose importante pour l’avenir d’une région ? » ; la réponse est claire pour les ingénieurs : « Oui bien sûr, puisqu’elle permet de fixer dans la région des personnels qui sans cette éventualité seraient partis vers la région parisienne ou des régions plus industrielles. »

La construction de l’Ami 8 est ainsi un formidable moteur pour l’emploi dans la région : « L’implantation des usines Citroën à Rennes-La Janais a permis non seulement à des milliers de Bretons de trouver un emploi, mais elle a permis également à un grand nombre d’industriels de la région de développer leurs affaires ». Le journaliste poursuit : « On peut considérer que c’est à plus de 100 000 ouvriers par voie directe ou indirecte que Citroën fournit du travail ». C’est ainsi que le site de Rennes-La Janais est présenté comme « une usine pilote qui s’est décentralisée » et qui permet à « une centaine d’usines » de travailler tous les jours pour leur fournir des pièces. En visite chez un sous-traitant qui fabrique l’armature des sièges de l’Ami 8, le directeur confirme le boom économique créé par l’arrivée du constructeur français à Rennes :

« On était à 35 personnes ici, il y a 9 ans. Et actuellement on est à près de 550. On doit atteindre 600 dans le début de l’année prochaine. [En employant] uniquement du personnel de la région, recruté localement et formé par nos moniteurs. »

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Une réussite économique donc qui fait la fierté des Bretons, eux qui, avant-guerre, devaient migrer à Paris pour trouver un emploi dans l’industrie. Le grand paradoxe est finalement que ce succès, pour ne pas parler de lune de miel, ne sera que de courte durée. Moins de quinze ans plus tard, la ville de Rennes débute en effet une longue guerre contre l’automobile en rendant le centre-ville aux piétons, conflit dont le dernier soubresaut n’est rien d’autre que la construction du métro. Comme si, au final, rien n’était plus périssable que la modernité.

Thomas PERRONO

 

 

1 INA. « L’Ami 8, une voiture bretonne », Bretagne actualités, ORTF, 12/09/1969, en ligne.