La messe en langue bretonne

« An Tad, ar mab hag ar Spered santel »1, voici la Trinité énoncée en langue bretonne. Loin d’être une fantaisie folkloriste, l’utilisation du breton par la religion catholique est une longue tradition. Un reportage de l’émission Bretagne actualités de l’ORTF, diffusé le 13 mai 1966, nous emmène à la rencontre du recteur Le Floch de la paroisse de Louannec dans les Côtes-du-Nord pour évaluer l’importance de l’utilisation de la langue bretonne dans son ministère.

Carte postale. Collection particulière.

Antérieurement au Concile Vatican II, ouvert par le pape Jean XXIII en 1962 et conclu en 1965 par Paul VI, le breton – dans la partie bretonnante de la Bretagne, bien entendu – était utilisé pour la lecture de l’Evangile et pour l’homélie – ou sermon –, ainsi que lors des chants de cantiques. On peut penser notamment au kantik Sant Erwan chanté lors du pardon de Saint-Yves à Tréguier. Le reste de l’office religieux était alors dit en latin. Pour le recteur de Louannec, petite commune située sur la côte de granit rose, la décision conciliaire d’abandonner la langue latine – peu ou plus comprise par les catholiques pratiquants – pour les langues vernaculaires n’est qu’une confirmation des pratiques linguistiques qui ont cours depuis « des années et des années et des temps ».

En effet, comme le rappelle d’ailleurs le recteur Le Floch, Michel Le Nobletz, le missionnaire de la Réforme catholique au XVIIe siècle, utilisait le breton pour se faire comprendre des habitants de Basse-Bretagne. Il s’appuyait alors sur des taolennoù (tableau) pour faire son catéchisme. A l’époque moderne, la langue bretonne est fortement influencée par l’Eglise catholique. On parle même de « breton de curé »2. Une structuration ecclésiastique de la langue qui la fait évoluer vers des formes diocésaines : le trégorrois dans l’évêché de Tréguier, le léonard dans l’évêché de Saint-Pol-de-Léon, le cornouaillais dans l’évêché de Quimper et le vannetais dans l’évêché de Vannes. Cette liaison entre la langue bretonne et l’Eglise pousse même l’association catholique et nationaliste Bleun-Brug (fleur de bruyère), créée en 1905 par l’abbé Perrot et au sein de laquelle militent des ecclésiastiques tels que Pierre-Marie Lec’hvien, à prendre comme devise : « Breton et Foi sont frère et sœur en Bretagne ».

Le Concile Vatican II semble être alors une nouvelle étape dans le renforcement de ce lien, puisque l’intégralité de la messe peut être désormais prononcée en breton. Et plus encore, puisque le recteur Le Floch a « l'occasion de l'utiliser pour à peu près tous les actes [de son] ministère » : baptême, mariage. Mais c’est lorsqu’ils sont confrontés à la mort que les paroissiens de Louannec sont les plus demandeurs. C’est ainsi que le recteur Le Floch célèbre 19 enterrements sur 20 dans la « langue du pays ». C’est peu de dire que les Bretons entretiennent avec la mort des relations familières. L’historien Alain Croix parle même d’une « culture macabre » en Basse-Bretagne.3 Un sentiment renforcée lors des veillés mortuaires avec le chant du kantik ar Baradoz (cantique du paradis), très apprécié des participants.

A Saint-Lunaire, dans les années 1950. Collection particulière.

Au final, on pourrait voir une coalition de circonstance, sur la question de l’utilisation des langues vernaculaires, entre la tradition séculaire bretonne et la modernité revendiquée du Concile Vatican II. Mais à bien y regarder de plus près, les ecclésiastiques bretons penchent plus fortement du côté de la tradition que de la modernité, en témoigne notamment la soutane encore portée par le recteur Le Floch, habit pourtant tombé en désuétude avec le récent Concile…

Thomas PERRONO

 

 

1 « Le père, le fils et le Saint-Esprit » en français.

2 BROUDIG Fañch et FAVEREAU Francis, « Langue », in CROIX Alain et VEILLARD Jean-Yves, Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, PUR, 2013, p. 563.

3 On renvoie notamment à sa thèse d’Etat : CROIX Alain, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. La vie, la mort, la foi. Paris, Maloine, 1981.