Le deuxième 18 juin du général de Gaulle

Le 1er juin 1958, Charles de Gaulle revient au pouvoir après plusieurs semaines d’extrême tension politique. Si l’ancien chef de la France Libre a dissipé les doutes auprès de nombreux Français en déclarant avoir passé l’âge de commencer « une carrière de dictateur », sa légitimité demeure malgré tout fragile. Hasard du calendrier, la constitution de son gouvernement intervient à quelques jours du 18 juin, date éminemment symbolique dans la mémoire gaullienne. Ses partisans y voient en effet une formidable opportunité de rappeler le sens du dévouement pour la patrie, mais également les capacités de rassemblement du Grand homme, faculté non négligeable tant les Français sont divisés sur les questions algérienne et constitutionnelle. Cet objectif est clairement énoncé dans le Morbihan dès la création du Comité républicain pour le recours au général de Gaulle, le 27 mai. Comme le précisent les Renseignements généraux, l’association poursuit trois objectifs : organiser le prochain référendum, œuvrer « à l’accomplissement de la révolution pacifique », et célébrer le 18 juin « dans l’esprit même du général »1.

Le général de Gaulle au micro de la BBC pendant la Seconde Guerre mondiale. ECPAD.

Charles de Gaulle comprend très vite l’enjeu populaire de cette date. Il accepte de commémorer l’Appel dans une ambiance qui rappelle, à bien des égards celle du 14 juillet. Enthousiaste, la rédaction du quotidien Ouest-France n’hésite pas à qualifier le cérémonial « [d’] inhabituel »2. Devant une foule nombreuse qui l’acclame, le président du Conseil remonte triomphalement les Champs Elysées puis, « entouré des membres de son gouvernement et de hautes personnalités », il allume « la flamme de l’Arc de Triomphe, encadré d’un V », avant de se rendre à la crypte du Mont-Valérien. Cette cérémonie symbolique met en scène de nombreux Résistants et notamment les marins de l’Ile de Sein partis dès juin 1940 rejoindre la France libre alors balbutiante. Leurs représentants sont chaleureusement salués par le général de Gaulle en personne.

De nombreuses villes organisent également des commémorations. A Vannes, un cortège mené par le préfet dépose une gerbe de fleurs devant le monument aux morts3. Ces cérémonies sont l’occasion de clamer une nouvelle fois sa fidélité au chef du Gouvernement. Le président de l’association des anciens Français Libres du Morbihan, Maurice Bardet, réaffirme ainsi la confiance aveugle qu’il porte à son ancien chef. Il est convaincu que « Charles de Gaulle, jette à nouveau toutes ses forces et sa haute valeur morale sur la table de l’opération France »4. Dans Ouest-France cette fois, Paul Hutin-Desgrées, un temps méfiant à l’égard de l’homme du 18 juin, publie un éditorial dans lequel le général de Gaulle apparaît comme un sauveur, pour ne pas dire comme un messie.

« Ce rêve fait par nous, étudiants puis soldats de 1914 ; ce rêve réalisé en vous, guide de 1940, et réalisé pour la deuxième fois en vous, guide de 1958 : espérance, consolation, gratitude ! Supplication aussi, pour que la nef, parmi ces récifs, soit guidée par une prudence politique unie à la force d’âme et au désintéressement qui sont le propre de votre génie »5

De son côté René Roche compare volontiers le discours prononcé cinq jours plus tôt par Charles de Gaulle devant l’hôtel de Matignon, à celui de Londres. Dans La Liberté du Morbihan, il n’hésite pas à les mettre sur le même plan et affirme que ce sont là « deux appels historiques ». Le

« premier appel, celui du 18 juin, portait condamnation de la IIIe République. Le second annonce la fin de la IVe République. »6

Mais l’éditorialiste déplore toutefois

« [qu’] aujourd’hui, les esprits sont aussi divisés qu’hier. Des intérêts et des idéologies s’opposent. Les calculs et les intriguent subsistent. »

Carte commémorative. Collection particulière.

Les communistes mènent en effet une violente campagne de dénégation à l’égard de l’ancien chef de la France Libre. Ces derniers contestent, notamment, la portée de l’appel du 18 juin 1940 qui n’a pas pu être entendu « alors que les routes de France donnaient le poignant spectacle d’unités en débandades »7. Selon eux, Charles de Gaulle est un opportuniste qui a usurpé le titre de « premier des Résistants » en tirant profit de l’abnégation des FTP qui, eux, ont continué la lutte sur le terrain. Le chef du Gouvernement serait un habile manipulateur qui, en 1958, tire une nouvelle fois les ficelles à son avantage afin d’assouvir son envie de pouvoir personnel. Plus que jamais, le 18 juin 1958 confirme que la mémoire est bien l’outil politique du temps présent.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 Archives départementales du Morbihan, 1526 W 236, note d’orientation n°30 des renseignements généraux, juin 1958.

2 « …hier à Paris », Ouest-France, 19 juin 1958, p. 1-8.

3 « Le 18e anniversaire de l’appela du général de Gaulle a donné lieu à Vannes, à une émouvante cérémonie », La Liberté du Morbihan, 20 juin 1958, p. 3.

4 « 18 juin 1958, 18 ans après… », La Liberté du Morbihan, 15-16 juin 1958, p. 16.

5 « La Croix de Lorraine dans le ciel du 18 juin », Ouest-France, 18 juin 1958, p. 3.

6 « Deux appels historiques du général de Gaulle », La Liberté du Morbihan, 18 juin 1958, p. 1-2.

7 La Libération, œuvre d’un peuple et non d’un homme, Paris, SGP, 1958, p. 6-7.