Le pape Jean-Paul II en 1978 : vu de Bretagne, une élection et des questions

18h32, le 15 octobre 1978. Après plusieurs heures d’attente, la foule rassemblée au Vatican applaudit à la vue de la fumée blanche qui s’échappe de « l’extrémité de la petite cheminée qui se trouve sur le toit de la chapelle Sixtine ». L’élection d’un nouveau pape est toujours un événement.

La place Saint-Pierre à Rome. Carte postale. Collection particulière.

Mais la joie est de courte durée. Après dix secondes, la fumée redevient noire. Le pape n’a pas encore été élu. Aussi anecdotique que cela puisse paraître, ce détail décrit parfaitement l’effervescence qui règne au milieu des fidèles. De leur côté, les journalistes font part de leur impatience. L’un d’eux, correspondant pour Ouest-France , ironise sur l’archaïsme d’un tel protocole (édition du 16 octobre 1978):

« On peut noter, une fois de plus, que la Vatican tient à ses traditions évoquant une époque depuis longtemps révolue. Sans doute, sur le plan poétique et éthique, a-t-il raison. Dans l’ère des astronautes et des ordinateurs, l’élection d’un pape – ou son élection manquée – doit être annoncée par une fumée, et de surcroît, la couleur de cette dernière peut donner lieu à diverses interprétations. Vivre en dehors du temps peut constituer, quoi qu’il en soit, un privilège. »

Le lendemain, plus de doute, un pape vient d’être élu. A la surprise générale, il s’agît du Polonais Karol Wojtyla. Ce dernier prend le nom de Jean-Paul II « en hommage à son successeur », Jean-Paul Ier, décédé subitement 33 jours après son élection (26 août – 28 septembre 1978). L’événement est qualifié par la presse « d’historique » puisque c’est la première fois depuis le « XVe siècle, qu’un non-Italien est placé sur le trône de Saint-Pierre ». Mais surtout, l’élection du pape soulève de nombreuses interrogations géopolitiques. En tant que chef d’Etat, ce dernier est confronté à de nombreux défis. Ils sont parfaitement résumés dans les colonnes du quotidien rennais Ouest-France, le 17 octobre 1978.

Dans un contexte de Guerre froide, l'origine de  Karol Wojtyla est immédiatement interprétée comme « un défi à l’athéisme militant, un refus de l’invasion du marxisme dans et hors l’église. Mais c’est aussi une tentative de convivialité entre deux mondes ». En effet,  si la République populaire de Pologne est « le pays le plus catholique de l’Est », elle n’en demeure pas moins « un pays communiste ». Or, depuis le début de la décennie, l'influence de Moscou est de plus en plus contestée par les Polonais. Pourtant, la rédaction de l'hebdomadaire breton estime que l'élection de Jean-Paul II n'est pas de nature à exacerber les tensions. Au contraire, il considère que « de nouveaux rapports vont être établis entre le monde communiste et le catholicisme ».

Ces liens doivent en outre faciliter le rôle de médiateur que l'on accorde à l'évêque de Rome. Et pour cause, depuis 30 ans, le monde vit au rythme de la Guerre froide. Dans ce contexte particulièrement tendu, François-Régis Hutin s'inquiète que la guerre,

« aujourd’hui comme hier, rôde autour de l’humanité. Mais il ne s’agit plus de la même guerre. Elle est plus perfectionnée, même lorsqu’il ne s’agit que d’armes dites conventionnelles […] Les Oradour et les Horoshima seraient reproduits par milliers. Des zones entières, des pays entiers pourraient se trouver vitrifiés d’un seul coup, menaçant l’existence même de notre univers. »

Lors de l’intronisation du pape Jean-Paul II. Tirage d’une photographie de presse, collection particulière.

Enfin, il est impossible pour le journal proche de la « démocratie chrétienne », de ne pas évoquer le défi théologique auquel est confronté Jean-Paul II. Ce dernier doit poursuivre la modernisation entamée par le concile Vatican II (1962-1965). C'est à ce prix que l'Eglise peut faire face aux découvertes de la science (« atome », « génétique »…) qui, en apportant des éléments  rationnels à l'existence de l'Homme, risque, pense-t-on alors, de tuer définitivement les religions…

Yves-Marie EVANNO