Plourin, 1980 : énième épisode de la guerre scolaire ?

L’école est une véritable passion française. Il y a qu’à penser pour s’en convaincre aux débats récurrents – et très anciens – sur les programmes scolaires. Mais la Bretagne constitue de ce point de vue un territoire à part puisqu’à ce terreau fertile vient s’ajouter la dimension confessionnelle, ingrédient essentiel d’une véritable guerre scolaire : écoles catholiques privées vs. écoles laïques publiques. Ce conflit entre « école libre » et « école du diable » est à son paroxysme au tournant des XIXe et XXe siècles, au moment de la difficile application des lois Ferry. Cependant, loin de s’éteindre sur le long terme, cette guerre scolaire connaît au contraire, ponctuellement, des accès soudains de fièvre.

Dans le bourg de Plourin. Carte postale. Collection particulière.

A Plourin, en 1980, c’est l’ouverture par l’administration de l’Education nationale d’une école publique, fréquentée par 19 enfants mais contre l’avis de la municipalité et d’une majorité de la population qui ravive les braises. Ce nouvel épisode fait suffisamment de bruits pour que la presse nationale s’y intéresse. Un reportage réalisé par la journaliste Marie-Laure Augry est ainsi diffusé, le 16 février 1980, dans le journal télévisé de 13 heures de TF1 présenté par Jean-Claude Bourret1. Ce dernier résume ainsi la « situation paradoxale » qui règne dans ce village du nord du Finistère, à une époque où l’exode rural sévit encore : « étonnante démarche pour un village breton, qui se bat pour obtenir la fermeture de son école ». Sur place l’atmosphère est pesante : « les pour et les contre, ne se parlent plus, lettres et coups de fil anonymes empoisonnent l'atmosphère ». Une situation de blocage qui s’est enkystée entre la municipalité et la préfecture : « ils iront jusqu'au bout de leur croisade, ils soutiennent leur maire lorsqu'il ne vote pas le budget de fonctionnement de l'école ou lorsqu'il refuse de signer le procès-verbal d'installation de l'institutrice ».

Là où la situation est ubuesque, c’est que la demande d’ouverture d’une école sur la commune émane de « 50 parents », des « jeunes  couples », installés sur la commune dans un lotissement. Jusqu’ici les enfants étaient scolarisés dans des municipalités voisines, grâce à un ramassage scolaire efficace, et cela ne posait de problème à personne à en croire les personnes interrogées à la sortie de la messe dominicale par la journaliste, envoyée spéciale dans le Léon, « cette terre de foi et de tradition » : « Il y a des écoles dans les communes environnantes et ça nous suffit et ça donnerait trop de frais de faire une école à Plourin ». Rares sont les voix discordantes, comme celle de cette jeune mère, qui entend probablement bénéficier du nouvel établissement : « je pense aussi que pour les enfants on peut faire un effort parce que ça met de la vie dans la commune et puis ça aide les jeunes ».

Mais au fond, quelles sont les raisons de la colère ? Une Mamm-gozh portant le costume local jure qu’elle s’opposerait de la même façon à l’ouverture d’une « école libre ». Une autre habitante avance que « ça donnerait trop de frais de faire une école à Plourin ». Un simple problème de finances publiques alors ? On peut en douter. Les convictions religieuses ne peuvent être loin comme le dit une habitante partisane de l’école publique :

« On nous a toujours dit que l'école privée était la seule école valable pour des chrétiens alors l'école publique, c'était l'école du diable. […] Je crois qu'il y a beaucoup de personnes de notre génération qui en sont restées là encore. »

Mais on peut également y voir un conflit de générations, avec les « anciens [qui] comprennent mal les exigences de ces jeunes parents ».

L'Eglise de Plourin. Carte postale. Collection particulière.

L’école publique de Plourin a fini par s’ancrer durablement dans le paysage communal, puisque près de 40 ans plus tard, elle accueille 158 enfants répartis dans 6 classes2. Mais la guerre scolaire en Bretagne n’est jamais totalement éteinte et le conflit a connu d’autres épisodes. Le plus marquant d’entre eux date bien entendu de 1984, quand des millions de défenseurs de l’enseignement catholique ont battu le pavé à Rennes ou à Paris en opposition au projet de loi Savary.

Thomas PERRONO

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « La guerre des écoles », JT 13h TF1, 16 février 1980, en ligne.

2 Source : chiffres indiqués sur le site internet de l’école publique de Plourin [consulté le 21 février 2018]