TV Breizh, le lancement de « la première chaîne généraliste régionale bilingue en Europe »

La télévision régionale en Bretagne s’est développée, depuis le lancement du premier journal télévisé de Télé Bretagne,  le 3 février 1964, dans le giron du service public de l’audiovisuel : RTF, ORTF, FR3 et enfin France 3. Il faut attendre l’an 2000 pour voir la naissance d’une chaîne à capitaux privés, TV Breizh, antenne qui se donne pour ambition de devenir « la première chaîne généraliste régionale bilingue en Europe »1, d’après les mots de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1 et grand pygmalion de ce projet pour le moins ambitieux.

Lors du lancement de la chaîne: Patrick Le Lay, Rozenn Milin et Patrick Poivre d'Arvor. Photographie de presse.

Le 2 septembre 2000, le quotidien breton affirme que « l’antenne a été ouverte en musique à Lorient »2. TV Breizh affiche son identité bretonne et celtique dès son premier direct : la retransmission d’un fest-noz organisé pour l’occasion sur la Place d'Armes de Lorient, « un concert auquel assistaient plusieurs milliers de personnes » 3. « De nombreux artistes [sont] venus saluer la petite dernière, en duplex avec les studios à quelques centaines de mètres toujours au cœur de l'Arsenal ». En effet, la nouvelle chaîne bretonne a investi l’ancien enclos du port, désaffecté par la Marine nationale et désormais reconverti en un Pôle images ayant pour but de concentrer et stimuler la production audiovisuelle en Bretagne. De nombreuses personnalités bretonnes du petit écran sont présentes pour assiste à la naissance de TV Breizh : Rozenn Milin, la directrice générale de la chaîne, Charles Biétry, l’emblématique patron des sports de Canal +, Patrick Poivre d’Arvor, l’incontournable star du JT, et surtout  Patrick  Le Lay, PDG du groupe TF1 dont la nouvelle chaîne bretonne fait partie.

Avec un budget de 80 millions de francs par an, TV Breizh propose « dix-sept heures de diffusion dont cinq heures de programmes frais par jour ». En se calquant sur les modèles gallois et irlandais, la chaîne se veut bilingue et pour ce faire développe une importante activité de doublage. La programmation est tournée principalement vers la fiction et les magazines d’information. Toutefois TV Breizh ne rentre pas en concurrence avec les journaux télévisés de l’antenne régionale de France 3, en raison du coût élevé d’une rédaction d’information. La chaîne n’est pas diffusée sur le réseau hertzien, mais sur les bouquets satellitaires TPS et Canalsatellite, alors en plein boum, ainsi que sur le réseau câblé de Noos en Bretagne et à Paris.

On peut voir dans la conception même de cette chaîne bretonne privée un avatar du régionalisme breton qui, depuis l’aventure du Célib, tente de réunir milieux économiques et politiques sous la bannière du culturel. En effet, l’actionnaire le plus important de la chaîne n’est autre que François Pinault, via sa holding Artémis. Le Crédit agricole de Bretagne et l’industriel breton René Ruello détiennent également des parts dans TV Breizh. Un actionnariat ouvert pour autant à l’international, puisque les magnats des médias Rupert Murdoch et Silvio Berlusconi sont également de la partie. Patrick Le Lay mise aussi très largement sur la diaspora bretonne à Paris pour constituer, dans un premier temps, le cœur de cible de la chaîne :

« Pour le moment, je crois que le plus grand nombre de téléspectateurs sera à Paris, […] D'abord, Paris est la première ville bretonne de France et deuxièmement, c'est là que le satellite ou le câble est le plus développé. Donc le nombre de téléspectateurs qui pourront aujourd'hui recevoir la chaîne sont plutôt en région parisienne. »

Marylise Lebranchu, ancienne maire socialiste de Morlaix et alors secrétaire d'État aux PME, au commerce, à l'artisanat et à la consommation du gouvernement de Lionel Jospin, prononce le même crédo au micro de France 3 :

« Je crois que les régions ont un grand avenir devant elles, qu'elles sont encore balbutiantes, et je crois à la force des régions. Je pense en fait qu'il faut un Etat qui fasse bien son métier, qui soit présent là où on a besoin de lui, et puis qu'il laisse des grands espaces de liberté et de culture. »

TV Breizh permet notamment de suivre en breton les enquêtes de l'inspecteur Columbo. Collection particulière.

Pourtant, les ambitions affichées font long feu, contrairement à l’enthousiasme général du lancement qui voit, « après la fête, TV Breizh entrer maintenant dans le quotidien et son rythme de croisière ». Dès 2003, la vocation régionale de la chaîne commence à s’amenuiser. Les séries américaines de TF1 remplacent peu à peu les programmes régionaux. Les canaux restreints de diffusion de TV Breizh ont certainement contribué à sa faible popularisation dans la société bretonne. Depuis son entrée sur la TNT en 2008, la chaîne réalise pourtant des audiences honorables… mais l’identité bretonne en moins. Dès lors, on se demander si les Bretons attendent du petit écran qu’il soit un vecteur de la culture régionale.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

 

 

1 Propos à l’agence Reuters, 15 juin 2000.

2 Ouest-France, 2-3 septembre 2000, p. 1.

3 INA, L’Ouest en mémoire. « Lancement de TV Breizh à Lorient », France 3 Bretagne, 02 septembre 2000.