Une brève histoire du centre aéré : lieu d’occupation, d’émancipation, ou d’encadrement de la jeunesse ?

Comme les colonies de vacances, le centre aéré1 évoque à bon nombre d’entre nous le souvenir d’une enfance heureuse. Si ce concept d’accueil des enfants dans des centres dédiés aux pratiques d’activités physiques et de loisirs de plein air remonte au XIXe siècle, il se structure surtout à partir des années 1930 et prend véritablement son essor au cours des Trente glorieuses. En 1966, à Rennes, une ville alors en pleine croissance urbaine et dont les responsables politiques se  projettent déjà vers « l’an 2000 », l’un des sites les plus importants est le centre aéré Dominique Savio, situé au nord des Gayeulles, à la campagne2. Le reportage tourné sur place par les journalistes des actualités télévisées régionales décrit parfaitement le fonctionnement de cette institution et souligne les enjeux sociaux et sociétaux auquel répond ce type de structure qui se développe alors partout en Bretagne.

Circulaire invitant à une réunion d'information sur les centre aérés Dominique Savio et Bernadette Soubirou de Rennes. Musée de Bretagne: 974.0006.90.

« Monsieur Quinton, l’un des responsables » du centre aéré résume la philosophie entourant l’accueil des enfants dans cette structure : « quelle que soit la situation de famille de chacun, quelle que soit la situation pécuniaire, quelle que soit la situation idéologique. Tous les services du centre aéré sont absolument ouverts à tous ». Notons que la précision sur la « situation idéologique » fait sans doute écho au nom donné le nom du centre : Dominique Savio, le « saint-patron de jeunes » et disciple de Don Bosco, ce qui le rattache de facto  aux mouvements d’éducation populaire d’essence catholique. Il faudrait donc comprendre qu’il n’est nul besoin d’être enfant de chœur, ni même croyant pour fréquenter le centre, ce qui est semble-t-il aussi un moyen de désamorcer un hypothétique prolongement de la guerre scolaire, risque toujours présent en Bretagne.

Cette politique d’ouverture au plus large public rencontre le succès, puisqu’en 1965, ce sont « près de 3 000 enfants » qui fréquentent le centre aéré, soit l’équivalent d’environ « 45 000 journées de vacances » !  Pour autant, tous les enfants ne sont pas mélangés au sein du centre. Une distinction d’âge et de sexe s’opère toutefois :

« nous avons plusieurs groupes d'âge différents. Nous commençons à les prendre à quatre ans, nous avons un groupe de quatre à six ans que nous appelons le groupe d'été. Ensuite nous avons des groupes de quartier répartis sur le terrain de sept à quatorze ans, et nous avons des groupes d'adolescents et adolescentes de quatorze à dix-sept ans. »

En outre, la mixité n’est pas de mise : les garçons fréquentent le centre Dominique Savio et les filles, quant à elles, se retrouvent au centre Bernadette Soubirou. Il est intéressant de noter que c’est pourtant à cette même époque que la mixité se généralise dans les établissements scolaires.

Le centre aéré Dominique Savio est néanmoins un environnement propice à l’épanouissement des enfants : « vous avez un ensemble de dix-huit hectares sur le terrain », des locaux d’une surface de « 800 m² » et « bien sûr la piscine […] qui fait tant de plaisir aux jeunes ». Ce vaste terrain de jeu permet ainsi de proposer des activités variées et de plein air : « on fait donc des grands jeux qui permettent de se dépenser beaucoup dans les bois, on joue évidement au ballon ». Mais on relève également l’apprentissage de la natation, ainsi que des activités d’atelier : « plâtre, pyrogravure - qui est très appréciée -, rotin, […] un peu de bricolage ».

En filigrane, le reportage témoigne aussi de la structuration et de la professionnalisation des centres aérés. En effet, le responsable du centre Dominique Savio insiste sur le fait que les « moniteurs » ont reçu une « qualification […] au cours des stages de perfectionnement. Une formation que l'on fait en cours d'année. Ils sont obligés d'y accéder ». Depuis 1946, il existe un diplôme de « Moniteur et de directeur de colonie de vacances ». Le fameux BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) est, lui, créé quelques années plus tard, au début des années 1970. Une structuration qui est également politique et administrative à travers la distribution de brevets de natation « qui vont du simple 25 mètres jusqu'à 3000 mètres » par « Jeunesse et Sport ». L’occasion d’évoquer la figure de l’alpiniste Maurice Herzog, haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports du général De Gaulle entre 1959 et le 8 janvier 1966, qui a fortement contribué à la montée en puissance de ce ministère.

Vue des bâtiments du centre aéré Dominique Savio à Rennes (carte postale). WikiRennes.

Enfin, il convient d’aborder les enjeux du développement des centres aérés à Rennes, qui se posent d’ailleurs dans toute la Bretagne. Le journaliste en donne les clés dès l’introduction du reportage :

« Depuis quelques années, on le sait, la population, sans cesse croissante, a posé, surtout dans les villes, des problèmes de logement. Alors on a vu se construire un peu partout de grands ensembles, des HLM. Peu à peu s'est créé là un genre de vie nouveau, et cela n'a pas été sans difficultés. Les enfants étaient un peu laissés à eux-mêmes, ils jouaient, et jouent encore, d'ailleurs, dans des espaces réduits. Avec les mois de juillet et d'août qui approchent désormais à grands pas, 50% de ces enfants ne partiront pas en vacances. Ils resteront dans leur ville. Quoi faire ? Tuer le temps comme ils le pourront pendant que leurs parents travailleront. »

Les centres aérés ont ainsi pour vocation première d’occuper cette population croissante d’enfants citadins, puisque leurs nouveaux lieux de vie, dans une ville qui s’urbanise rapidement, n’ont  été conçus que pour la fonction d’habitat, au détriment des infrastructures de loisirs. Les enjeux d’émancipation, voire d’encadrement de la jeunesse n’apparaissent au final, ici, que de manière sous-jacente.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

 

 

1 On parle aujourd’hui d’accueil de loisirs, avec ou sans hébergement.

2 INA-L’Ouest en mémoire. « A Rennes, le Centre aéré Dominique Savio », Bretagne actualités, ORTF, 02/06/1966, en ligne.