Les foires aux chevaux : un événement important du monde rural

A côté des comices du mois de septembre, les foires aux chevaux marquent un autre temps fort du monde rural breton, au moins jusqu’au milieu du XXe siècle. Le Léon et le Trégor forment la grande zone d’élevage équin en Bretagne. C’est pourquoi on y retrouve les principales foires dès le XVIe siècle : Landivisiau – la plus importante –, mais aussi La Martyre, Le Folgoët, Guingamp, Plestin, ou bien Morlaix.1 Un film de 1930, produit par le Ministère de l’Agriculture, sur l’élevage du cheval, présente la « plus grande foire de Bretagne ». Celle-ci se déroule sur les hauteurs du Menez Bré – écrit Menn-Bray dans la vidéo. Les éleveurs, endimanchés pour l’événement, y viennent par centaines pour vendre un ou plusieurs chevaux, ainsi que des poulains. La vente se négocie aux côtés des animaux bien alignés. Quand le prix est fixé, l’acheteur tape dans la main du vendeur : c’est le tope là ! Les billets changent de mains en même temps que le cheval.

Carte postale. Collection particulière.

Les animaux en vente lors de ces foires sont principalement des races dites de trait et d’origines locales. Le registre de la race du cheval breton reconnaît deux types : le postier breton et le trait breton. Ces chevaux sont très appréciés pour leur robustesse et s’exportent largement hors des limites de la Bretagne, notamment depuis Landivisiau vers l’Europe du Sud, l’Amérique mais aussi l’Asie. Dans l’entre-deux-guerres, la Bretagne élève plus de 300 000 animaux par an.2 Ils se trouvent en concurrence avec les autres races françaises, parmi lesquelles les comtois et les percherons. Afin de sélectionner les meilleurs reproducteurs dans le but d’optimiser le patrimoine génétique, des haras nationaux sont mis en place au XIXe siècle. En 1806, un premier haras breton est créé à Langonnet en Centre-Bretagne, mais il disparaît rapidement. En 1825, c’est à Lamballe que s’installe le nouveau haras national. Au début du XXe siècle, celui-ci compte 12 écuries pour 400 étalons. Au milieu du XIXe siècle, un second haras breton est créé à Hennebont.

 Si ces foires forment un événement dans les campagnes bretonnes du XIXe siècle et du premier XXe, c’est parce que le cheval y a une importance largement oubliée aujourd’hui. Tout d’abord, dans un système agricole encore peu mécanisé, les traits bretons sont utilisés pour les travaux des champs : labours, débardage de bois etc. On trouve d’ailleurs en Bretagne un certain nombre de pardons de chevaux. En l’honneur de saints protecteurs comme Gildas, Eloi ou Hervé, les chevaux y sont baignés, afin d’être protégés des blessures et des maladies.3 Ensuite, ces chevaux sont très utiles pour le transport. Dans le cadre de la proto-industrie toilière par exemple, les marchands-fabricants possèdent des chevaux, à l’inverse des tisserands, puisqu’ils doivent apporter les toiles au marché urbain. Dans les inventaires après décès du XIXe siècle, si le défunt possède un ou plusieurs chevaux, mais également un char à banc, une charrette, ou bien un tombereau, cela démontre une certaine aisance. Enfin, ces chevaux sont vitaux pour l’armée, puisque celle-ci est encore très largement hippomobile jusqu’au milieu du XXe siècle : cavalerie mais aussi artillerie, ravitaillement, etc4. C’est pourquoi, à l’instar des humains, le service de remonte de l’armée est chargé de recenser les chevaux : soit plus de 3 millions d’animaux en 1913.5 Pendant la Première Guerre mondiale, ce sont environ 1,8 millions de chevaux qui sont mobilisés pour toute la France.6

La foire aux poulains à Plaintel. Aquarelle d´André Coupé, collection particulière.

De nos jours, la place du cheval dans le monde rural a énormément évolué. En dehors de la production de viande de boucherie, les chevaux sont devenus avant tout un loisir. D’après le syndicat des éleveurs de chevaux bretons, on dénombre actuellement environ 12 000 chevaux bretons, soit 25 fois moins d’animaux qu’en 1930. Le marché s’est donc considérablement réduit. Pourtant les foires aux chevaux ou aux poulains n’ont pas toutes disparues, comme celle de Plaintel chaque premier lundi d’octobre. Ces foires sont devenues des événements de plus en plus tournés vers la célébration du monde rural d’antan : le cheval devient à son tour un élément important du patrimoine breton…

Thomas PERRONO

 

1 LE BERRE Yvon, « Chevaux », in CROIX Alain et VEILLARD Jean-Yves, Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, PUR, 2013, p. 232.

2 Ibid., p. 232.

3 Ibid., p. 232.

4 Sur cette dimension, LE GALL, Erwan, La Courte Grande Guerre de Jean Morin, Spézet, Coop Breizh, 2014, p. 104-109.

5 DIGARD Jean-Pierre, Une histoire du cheval, art, techniques, société,  Arles,  Actes Sud, 2007,p. 145-148.

6 BALDIN Damien , « De la contiguïté anthropologique entre le combattant et le cheval : Le cheval et son image dans l'armée française durant la Première Guerre mondiale », Revue historique des armées, no 249,‎ 2007, p. 77.