Ermo : guide d’histoire ou passeur d’une mémoire ?

Nous avons eu l’occasion en 2016, dans ces mêmes colonnes, de voir en quoi la bande-dessinée était un bon révélateur, en ce milieu des années 2010, de la mémoire de l’année 1936 en France. L’affaire du sous-marin C2 de la rade de Brest, traitée tant en bande dessinée par Kris qu’en documentaire par Hubert Béasse, montrait la présence de la question de l’aide à la République espagnole, à une époque où l’actualité se focalisait sur la guerre civile en Syrie. De la même manière, il faudrait sans doute se demander en quoi les travaux d’Isabelle Le Boulanger sur les réfugiés espagnols ne répondent pas, au moins pour partie, tant dans l’esprit du chercheur que du public, à des interrogations liées à la question de ceux que l’on qualifie désormais de « migrants ». La nouvelle série de Bruno Loth, Les Fantômes de Ermo, permettent de développer plus amplement l’analyse de notre mémoire de la guerre d’Espagne1.

Un dessin efficace, qui installe une ambiance visuelle très attirante.

Orphelin livré à lui-même, le petit Ermo est recueilli par la troupe du magicien Sidi Oadi et mène la vie des saltimbanques jusqu’à ce que la Guerre d’Espagne n’entre frontalement en collision avec le destin qui lui semblait promis. Le récit est efficace, les personnages sont particulièrement bien construits et le dessin sert avec talent une histoire qui se dévore véritablement au fil des pages de cet album qu’on ne saurait trop conseiller.

Un détail tout de même ne manque pas d’interroger. En effet, le petit Ermo parait doté, dès les toutes premières pages (p. 11),  de pouvoirs surnaturels. Cette intrusion du merveilleux contribue incontestablement à l’attrait du récit, sans compter que l’enfant étant précisément recueilli par un magicien, il y là une cohérence qui renforce indéniablement le propos. Pour autant, il n’en demeure pas moins que cet album se déroule pendant la  Guerre d’Espagne, conflit qu’il entend d’une certaine manière documenter, sans doute en vertu d’un certain « devoir de mémoire ».

Là est d’ailleurs le principal intérêt de cette nouvelle série de Bruno Loth. Le petit Ermo est en effet moins un guide dans l’histoire particulièrement sombre de la guerre civile espagnole qu’un révélateur, au sens chimique du terme, de notre mémoire de ce conflit. Et c’est précisément parce que le souvenir est par définition l’organisation de l’oubli, l’omniscience en la matière étant pure chimère, que la lecture de cet album est particulièrement révélatrice. Le propos liminaire de l’anarchiste Ricardo Mella – « La liberté comme base, l’égalité comme moyen, la fraternité comme bu » – annonce de ce point de vue l’optique de l’album : montrer la Guerre d’Espagne certes, mais avec une empathie assumée, qui bien que légitime est parfois oublieuse, envers les Républicains.

La question religieuse, par définition sensible et réclamant mesure et subtilité, élément particulièrement manichéen de cet album.

Or, malheureusement, l’histoire de cette guerre civile n’est pas aussi manichéenne que ne l’est ce récit. Les massacres et les atrocités sont le fait des deux parties, réalité qui explique d’ailleurs pourquoi le souvenir de ce conflit est aussi difficile à solder. Or le devoir d’histoire nous semble en la matière d’autant plus nécessaire que la mémoire partielle et partiale de la guerre d’Espagne n’est politiquement pas neutre. Les suites du référendum d’autodétermination catalan ayant lieu le 1er octobre 2017 sont de ce point de vue particulièrement éloquentes tant elles réactivent des grilles de lecture décalquées de la répression franquiste. Or, comparaison n’est pas nécessairement raison et il importe de rappeler que si la gestion de la crise catalane par Mariano Rajoy n’est effectivement pas sans interroger, le chef du gouvernement espagnol ne saurait en aucun cas être assimilé à un Caudillo moderne. Malheureusement, ce n’est pas cet album qui contribuera au bon exercice du « devoir d’histoire » que nous appelons de nos vœux.

Erwan LE GALL

LOTH, Bruno, Les Fantômes de Ermo (Vol 1/2), Saint-Avertin, La Boite à Bulles, 2017.

 

 

1 LOTH, Bruno, Les Fantômes de Ermo (Vol 1/2), Saint-Avertin, La Boite à Bulles, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.