Genèse de l’engagement : Honoré d’Estienne d’Orves en BD

La Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement encore l’épopée de la Résistance fournissent un cadre idéal d’expression pour des bandes dessinées héroïques destinées à un public jeune et/ou adolescent. L’album consacré à Honoré d’Estienne d’Orves co-signé par Jean-François Vivier, pour le scénario, et Régis Parenteau-Denoël, pour le dessin, confirme cette règle en respectant tous les canons du genre1. Or, si celui-ci n’est pas sans qualités, il n’est également pas sans prêter le flanc à un regard que, sans doute, certain.es n’hésiteront pas à qualifier d’un peu trop historien.

L'arrestation à Nantes, dans la nuit du 21 au 22 janvier 1941.

Sous-titré « Pionnier de la Résistance », cet album revient intelligemment sur les prémices de la lutte contre l’occupant, lorsque tout est à inventer, dans l’urgence d’une défaite aussi invraisemblable qu’impensable, avec ce que cela suppose de risques. Organisateur du réseau de renseignements Nemrod, Honoré d’Estienne d’Orves illustre parfaitement la chronologie si particulière des premières unités de l’armée des ombres : quelques semaines d’activité, au mieux quelques mois, avant d’irrémédiablement tomber dans la nasse du tentaculaire appareil répressif allemand. De ce point de vue, son destin est comparable à celui des sœurs Alizon de Rennes et de l’ensemble des membres du réseau Johnny, cellule pionnière de collecte de renseignements qui elle aussi tombe en 1941.

Le parallèle ne s’arrête pas là puisque les membres de Johnny et Honoré d’Estienne d’Orves ont tous deux en commun d’émarger au sein des Forces françaises libres. Officier de carrière dans la Royale, polytechnicien issu d’une famille de la haute bourgeoisie (p. 10-11), il quitte l’Egypte et la Force X pour rallier la France Libre à Londres (p. 34). L’album décrit bien ce que peuvent être les ressorts de l’engagement d’un individu tel que celui-ci : force des traditions familiales où les notions relatives à l’honneur et à la carrière des armes sont érigées au plus haut niveau (p. 31), patriotisme forgé par une éducation rigoureuse (p. 8) mais aussi sensation de frôler « l’événement 1914-1918 » puisqu’il est alors trop jeune pour s’engager. Notons qu’il s’agit- à d’un ressort commun à bien des Résistants, à commencer par Jean Moulin,  ce qui rappelle combien l’armée des ombres est aussi un phénomène générationnel. De ce point de vue, cet album constitue donc une lecture à conseiller à tous les élèves désireux de participer au Concours national de la Résistance et de la déportation dont le thème, pour l’année 2017-2018, est justement « S’engager pour libérer la France » .

Néanmoins, nous ne saurions trop suggérer d’encadrer cette lecture car si cet album témoigne d’incontestables qualités il tombe également dans le piège – malheureusement assez classique du reste en bande dessinée – d’une guerre désidéologisée, d’un conflit où la spécificité du nazisme est insuffisamment soulignée. C’est ainsi qu’un lecteur peu avisé pourrait se méprendre quant aux tribunaux du Reich qui jugent Honoré d’Estienne d’Orves et ses compagnons de Nemrod (p. 17-19) : si les apparences sont sauves, il ne s’agit que d’une parodie de justice qui ne doit pas tromper. Les nombreuses références à l’abbé Frantz Stock qui émaillent l’album sont de ce point de vue très intéressantes tant on sait sa mémoire parfois ambigüe, gommant la spécificité historique du nazisme au nom d’une bien compréhensible et œcuménique réconciliation allemande.

Certaines cases peuvent conduire à des erreurs d'interprétation de la part d'un public non averti.

En définitive, cette biographie dessinée d’Honoré d’Estienne d’Orves est à conseiller à condition qu’elle soit encadrée par des rappels historiques sérieux quant à la réalité du système judiciaire nazi en France occupée. C’est là une dimension idéologique essentielle qu’il importe d’autant plus de rappeler qu’elle n’est pas nécessairement toujours comprise par les acteurs eux-mêmes. Et Honoré d’Estienne d’Orves parait de ce point de vue en être un excellent exemple. Ces réserves formulées, il n’en demeure pas moins que bien utilisé, cet album constitue une ressource pédagogique qui peut s’avérer d’autant plus intéressante qu’elle chemine très régulièrement par la Bretagne. 

Erwan LE GALL

PARENTEAU-DENOËL, Régis et VIVIER, Jean-François, Honoré d’Estienne D’Orves, pionnier de la Résistance, Monaco, Editions du Rocher, 2017.

 

 

 

1 PARENTEAU-DENOËL, Régis et VIVIER, Jean-François, Honoré d’Estienne D’Orves, pionnier de la Résistance, Monaco, Editions du Rocher, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 On se permettra de renvoyer pour quelques éléments de réflexion sur ce sujet à LE GALL, Erwan, « L’engagement des Français libres : une mise en perspective » in HARISMENDY, Patrick et LE GALL, Erwan (Dir.), Pour une histoire de la France libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 29-47.