De Trochu à « Trochoir » : itinéraire complexe d’un orléaniste breton

La proclamation de la  IIIe République le 4 septembre 1870 projette sur le devant de la scène des personnalités politiques qui ne manqueront pas de marquer l’histoire du pays comme Jules Ferry, Léon Gambetta, ou encore Jules Simon… A leurs côtés on retrouve également le Breton Léon-Jules Trochu. Ce dernier, orléaniste convaincu, prend d’ailleurs la tête du gouvernement nouvellement formé, tout en assurant la défense de Paris. Désapprouvé par le peuple quelques mois plus tard, il termine sa vie dans un relatif anonymat, loin de sa Bretagne natale.

Lithographie de Grandjean et Gascard. Collection particulière.

Louis-Jules Trochu voit le jour le 12 mars 1815 au Palais, dans le Morbihan. Fils d’un ingénieur agronome, il se destine rapidement à une carrière militaire. En 1835, il intègre ainsi Saint-Cyr avant d’aller parfaire sa formation à l’Ecole d’état-major. Il connaît ensuite une ascension rapide jusqu’au grade de colonel en 1853. Blessé à la jambe durant le siège de Sébastopol, il revient à Paris, au milieu des années 1850, élevé au grade de général. Une dizaine d’année plus tard, Napoléon III le charge de « préparer les études relatives à la réorganisation » de l’armée1. Cette fonction lui ouvre les yeux sur de nombreux dysfonctionnements. Convaincu que la France n’est pas préparée à se défendre contre une offensive ennemie, il décide d’alerter l’opinion en publiant L’armée Française en 18672.

Tombé en disgrâce auprès de l’empereur, il reste cependant très populaire auprès de la population parisienne. Lorsque la guerre franco-prussienne éclate, en 1870, il se voit confier le commandement du 12e corps d’armée et reçoit, dans le même temps, la fonction de gouverneur de Paris. Les évènements s’enchaînent alors très vite. Suite à la capture de l’empereur à Sedan, le 2 septembre, il assiste aux premières loges à la proclamation d’une République dont il ne partage pas la vision. Il se voit pourtant confier la présidence du gouvernement de la Défense nationale. Comme le souligne Stéphane Audoin-Rouzeau, « l’idée de faire entrer Trochu dans la combinaison gouvernementale » est purement pragmatique puisqu’en « dépit de ses convictions catholiques et orléanistes, ce dernier bénéficiait de son image d’opposant à l’Empire et de sa popularité dans la capitale »3. Et puis, président du Conseil général du Morbihan depuis 1848, il possède déjà une belle expérience du compromis politique.

Mais l’état de grâce ne dure pas. Le 31 octobre, il doit faire face à une première révolte de la population qui exige son départ. Louis-Jules Trochu ne cède pas, rétorquant à la foule que « le gouverneur de Paris ne capitulera pas ». En revanche, le 19 janvier 1871, le Morbihannais n’est plus en capacité de s’imposer. Il vient de commettre l’erreur de trop en menant les troupes françaises au désastre lors de la bataille de Buzenval. Le Breton n’a pas d’autre choix que d’abandonner le pouvoir. Son élection à l’Assemblée nationale, quelques semaines plus tard, ne suffit pas à enrayer les critiques dont il est régulièrement la cible. Les 23 et 27 janvier 1872, Le Figaro consacre, par exemple, deux articles à « [l’]anniversaire d’un jour de deuil, où le sang le plus pur coula dans une entreprise ténébreuse, que la conscience publique a flétrie du nom d’assassinat ! »4. S’il porte plainte pour diffamation contre les dirigeants du journal parisien, il ne parvient pas à faire taire les critiques5. Dans L’Année terrible, Victor Hugo écrit à propos de lui :

« Participe passé du verbe Tropchoir, homme
De toutes les vertus sans nombre dont la somme
Est zéro, soldat brave, honnête, pieux, nul,
Bon canon, mais ayant un peu trop de recul,
[…]
L’amère histoire un jour dira ceci de toi :
La France, grâce à lui, ne battit que d’une aile.
Dans ces grands jours, pendant l’angoisse solennelle,
Ce fier pays, saignant, blessé, jamais déchu,
Marcha par Gambetta, mais boita par Trochu»

Lassé, Louis-Jules Trochu quitte son siège de député en juillet 1872, puis abandonne la présidence du Conseil général du Morbihan en 1874 après « vingt-cinq ans non interrompus de services départementaux »7. Il se retire alors dans la région de Tours pour y profiter d’une retraite paisible. Répondant au président Félix Faure qui, en visite justement dans cette ville, au mois de mai 1896, lui avait fait transmettre ses sincères amitiés, il répond regretter avoir été « oublié de tous »8.

Lors du procès que le général Trochu intente au Figaro. Dessin de presse. Collection particulière.

Le 7 octobre 1896, quatre mois après Jules Simon, Louis-Jules Trochu rend son dernier souffle. Si la presse catholique offre un bel hommage à celui qui fut, jusqu’à sa mort « un chrétien dans toute l’acceptation du mot », les républicains ne manquent pas d’en faire autant9. Ainsi, Jules Méline, le président du Conseil, dit de lui qu’il fut lui « un républicain convaincu »10. Une ambivalence des regards qui en dit long sur la personnalité complexe du Breton.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

1 « Mort du général Trochu », L’Avenir de Bretagne, 10 octobre 1896, p. 2.

2 Trochu, Louis-Jules, L’armée française en 1867, Paris, Amyot éditeur, 1867.

3 AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, 1870, la France dans la guerre, Paris, Armand Colin, 1989, p. 147.

4 « Les comptes du 4 septembre », Le Figaro, 23 janvier 1872, p. 1.

5 Procès Trochu : plainte en diffamation et outrages envers un dépositaire de l'autorité publique, débats devant la cour d'assises de la Seine, audiences des 27, 28, 29, 30 mars, 1er et 2 avril 1872 , Paris, Librairie centrale, 1872.

6 HUGO, Victor, L’Année terrible, Paris, Michel Lévy frères, 1872, p. 270-271.

7 Rapport du préfet et délibérations du conseil général du Morbihan, Vannes, Imp. Galles, avril 1874, p. 145.

8 « La mort du général Trochu », L’Arvor, 10 octobre 1896, p. 1.

9 Ibid.

10 « Mort du général Trochu », Le Progrès du Morbihan, 10 octobre 1896, p. 3.