Le docteur René Le Fur : figure de la notabilité de la communauté bretonne à Paris

La chose est désormais bien connue : Paris – et sa banlieue – a été l’horizon privilégié d’un très grand nombre de Bretons partis sur le chemin de l’émigration, dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est ainsi, que d’après l’abbé Gautier, 98 656 Bretons vivent dans le  département de la Seine en 1896, dont 74 462 Bretons rien que dans la ville de Paris1. Une communauté bretonne que le père  Rivalain, l’un de leurs aumôniers, n’hésite pas à qualifier, en 1898, de « Parias de Paris » tant ils sont cantonnés « aux besognes les plus ingrates, quelquefois même les plus délétères »2. Pourtant il serait faux de considérer les Bretons de Paris comme une population homogène. Le groupe comporte également ses notables. Ernest Renan, l’enfant de Tréguier et père des Dîners celtiques, en est certainement la figure intellectuelle de proue. Mais un médecin, le docteur René Le Fur, moins connu certes, a certainement joué un rôle tout aussi grand dans la structuration de la communauté bretonne dans la capitale.

En 1898, alors qu'interne, René Le Fur est le plus en haut dans ce groupe de jeunees médecins. BiuSanté Paris: CISC0249.

René Le Fur est naît à Pontivy le 12 janvier 1872, dans une famille de notable. Son père, Jules-Louis, est avoué et surtout maire de la ville carrefour du Centre-Bretagne. Après l’obtention de son baccalauréat ès-sciences en 1890 au lycée de Rennes, il quitte la Bretagne pour poursuivre des études de médecine à Paris. On voit bien ici que les motivations de migration sont différentes de celles de la grande majorité de ses compatriotes : émigration d’opportunité versus émigration économique. René Le Fur est interne des hôpitaux de Paris en 1895. Deux ans plus tard, il se rend, avec trois autres médecins français, à Constantinople pour participer aux secours lors de la guerre gréco-turque3. Avant la validation de son doctorat en 1901, l’étudiant en médecine se spécialise en urologie. En ce début de XXe siècle, ce sont davantage ses convictions catholique et monarchiste qui  guident le jeune homme. C’est ainsi qu’il se marie en 1903 à la fille de Fernand Nicolaÿ, avocat et essayiste proche d’Albert de Mun et qu’il fonde en 1904 l'Entente nationale pour la reconstitution intégrale des libertés de France, une ligue catholique, réactionnaire, antimaçonnique et antidreyfusarde.

Au cours de ces mêmes années, René Le Fur est des milieux conservateur et régionaliste de la communauté bretonne à Paris, notamment de l’Union régionaliste bretonne du marquis de l’Estourbeillon. En 1900, il fonde la Mutualité bretonne, une société de secours mutuels, qui sert  de bureau de placement pour les nouveaux migrants, mais assure également des fonctions d’assistance sociale et médicale. En 1908, le docteur Le Fur devient homme de presse en fondant et dirigeant Le Breton de Paris. Ce journal sert de lien aux Bretons émigrés dans la capitale en leur donnant les nouvelles « du pays » et en traitant l’actualité associative, sportive, commerciale de la communauté. Si la ligne éditoriale se veut neutre, afin de parler à l’ensemble des Bretons de Paris, à la lecture on se rend vite compte que les convictions de René Le Fur sont bien présentes. Ainsi, l’actualité de l’Union régionaliste bretonne est très largement abordée dans le  journal. En 1911, l’hebdomadaire devient même un formidable vecteur de réseau en éditant un Annuaire des Bretons de Paris. Cette même année, René Le Fur participe à la fondation de la Fédération des sociétés bretonnes de Paris. Pendant la Grande Guerre, tandis que le journal continue de paraître en se voulant un soutien matériel aux poilus bretons, notamment les fusiliers marins ; René Le Fur occupe le poste de chirurgien en chef de l'hôpital militaire auxiliaire installé dans les locaux du prestigieux lycée parisien Janson-de-Sailly.

Carte postale. Collection particulière.

Après-guerre, le docteur Le Fur poursuit sa brillante carrière de médecin, étant l’un des urologues les plus réputés à Paris. Il préside même le Syndicat des médecins de la Seine. En revanche, son journal Le Breton de Paris cesse de paraître le 20 mai 1923. René Le Fur vit encore une décennie, jusqu’à sa mort le 23 avril 1933. L’Ouest-Eclair salue sa mémoire : « avec le docteur Le Fur, disparaît une des figures les plus sympathiques et une des personnalités les plus importantes de la colonie bretonne de Paris »4. Le Figaro, le grand quotidien national, proche des milieux catholique et conservateur, rend compte des hommages qui ont suivi l’enterrement du médecin breton :

« Hier matin [26 avril], en l’église Notre-Dame de Grâce de Passy […] ont eu lieu les obsèques du docteur René Le Fur. […] Mme Albert Lebrun était au premier rang de l’assistance, qui comportait de nombreuses notabilités du corps médical. L’inhumation a eu lieu au  cimetière Montmartre, où des discours ont été prononcés par le docteur Pertère, au nom de la Société des médecins de Paris […] Une poésie d’Henri Yvignac a été dite au nom des Bretons de Paris. »5

Médecin reconnu, militant catholique et conservateur, animateur et figure de proue de la diaspora bretonne à Paris : René Le Fur présente le parcours singulier et aux multiples facettes d’un notable provincial monté à Paris.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 GAUTIER, Elie, L’émigration bretonne. Où vont les Bretons migrants. Leurs conditions de vie, Paris, Bulletin de  l’entr’aide bretonne de la région parisienne, 1953, p. 65.

2 Discours du père Rivalain lors du congrès de 1898 des associations ouvrières de Saint-Brieuc, cité dans VIOLAIN, Didier, Bretons de Paris. Des exilés en capitale, Paris, Les Beaux Jours, 2009, p. 29.

3 DURAND-FARDEL, Raymond, L'Internat en médecine et en chirurgie des hôpitaux et hospices civils de Paris : centenaire de l'internat, Paris, Steinheil, 1902, p. 136.

4 « Un célèbre médecin breton meurt à Paris », L’Ouest-Eclair, 26 avril 1933, p. 5.

5 « Deuils », Le Figaro, 27 avril 1933, p. 2.