Paul Deschanel et Germaine Brice : un mariage républicain mais à la mode de Bretagne

La Grande-Bretagne est indissociable de sa monarchie et la famille royale de ces mariages royaux qui, pendant des semaines, assurent les choux gras des gazettes du monde entier. Certains y voient une spécificité propre à ce pays tandis que d’autres, privilégiant une approche plus fonctionnaliste,  n’hésitent pas à voir dans cette médiatisation une sorte de ciment national. On sait ainsi qu’aux Etats-Unis, par exemple, la famille Kennedy dispose dans l’opinion publique d’un statut très particulier, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la passion que suscitent les Windsor. Et même dans la France de la Belle époque, pays républicain s’il en est, le mariage d’un haut dirigeant ne laisse pas insensible. C’est ce que rappelle l’union, le 16 février 1901 de Paul Deschanel et de Germaine Brice.

Paul Deschanel en son fief électoral: le Perche. Carte postale. Collection particulière.

Une grande partie de la presse bretonne se passionne pour cette cérémonie nuptiale et L’Ouest-Eclair1, dès le lendemain, en publie une description détaillée en première page. A Brest, La Dépêche n’hésite pas à consacrer près de trois colonnes de sa une à l’événement2. A chaque fois, les articles insistent sur la foule venue en masse en l’église de Saint-Germain-des-Prés où se déroule la cérémonie. L’assistance est triée sur le volet et les journalistes précisent bien combien il faut montrer patte blanche, carton d’invitation à l’appui, pour assister à l’événement. Parmi les personnalités mentionnées, le Président de la République, des ministres comme Théophile Delcassé et Alexandre Millerand, ou encore le célèbre préfet de police de Paris Louis Lépine.

Une telle couverture médiatique ne doit pas étonner au regard de la brillante carrière de Paul Deschanel. Si ce nom est aujourd’hui encore dans toutes les mémoires, c’est bien à cause des problèmes de santé qui le frappent. Dépressif et souffrant de somnambulisme, il chute en 1920 du train qui le conduit à Montbrison dans la Loire et démissionne quelques mois plus tard. Devenu malgré-lui l’incarnation de la fragilité des hommes de pouvoir, il n’en est pas moins lors de son mariage un dirigeant politique de haut niveau : Président de la Chambre des députés et parlementaire depuis le milieu des années 1880, il est un véritable ténor républicain qui, de surcroît, siège depuis 1899 à l’Académie française.

Dès lors, comment une figure telle que celle-ci peut-elle s’accommoder de l’imposante couverture médiatique qui entoure son mariage, événement qui jusqu’à preuve du contraire relève de la sphère privée ? La réponse pourrait résider en l’itinéraire personnel des futurs époux. Germaine Brice, l’épouse donc du futur Président de la République, n’est nulle autre que la fille du député républicain d’Ille-et-Vilaine – et figure politique inamovible de ce département du début des années 1870 jusqu’à sa mort en 1921 – René Brice, ce que ne manque bien entendu pas de souligner le quotidien catholique rennais, et rattaché à la République, L’Ouest-Eclair. Le fief politique de Paul Deschanel se trouve quant à lui en Eure-et-Loir, à Nogent-le-Rotrou, où il est élu député. Mais c’est dans le corps préfectoral que ce parlementaire débute vie professionnelle, carrière qui l’amène du reste à être affecté à Brest.

L'église de Saint-Germain-des-Prés où est célébré le mariage de Paul Deschanel. Carte postale. COllection particulière.

Au final, c’est donc bien ce caractère de « régional de l’étape » qui, selon toute vraisemblance, conduit Paul Deschanel à faire la une de L’Ouest-Eclair et de la Dépêche de Brest à l’occasion de son mariage. En témoignent a contrario Le Nouvelliste de l’Ouest à Nantes, Le Moniteur des Côtes-du-Nord à Saint-Brieuc ou encore Le Nouvelliste du Morbihan à Lorient qui ne disent rien de cet événement mondain. Bien entendu, des facteurs tels que la ligne éditoriale ou encore le rythme de publication doivent être pris en compte pour expliquer ce silence. Mais il n’en demeure pas moins que les Républicains, eux-aussi, aiment à célébrer de véritables mariages princiers.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 « Le mariage Deschanel-Brice », L’Ouest-Eclair, 3e année, n°558, 17 février 1901, p. 1.

2 « Le mariage de M. Deschanel », La Dépêche de Brest, 15e année, n°4723, p. 1.