Zénaïde Fleuriot : une jeunesse catholique et bretonne

La littérature est affaire de distinction. Il y a les lectures nobles – les Balzac, Flaubert et Hugo, érigés au rang de véritables patrimoines culturels – et les textes qui, plus populaires, n’ont pas acquis la même place dans les mémoires. Ayant particulièrement bien saisi l’articulation du livre et du cinéma, Arthur Bernède personnifie cette littérature qui, étant populaire, n’a pas vraiment le droit de cité parmi les « grandes œuvres ». C’est d’ailleurs bien ce que rappelle l’oubli dans lequel repose aujourd’hui Zénaïde Fleuriot, immense écrivaine mais dont l’œuvre – qui traite par ailleurs abondamment de la Bretagne – s’adresse à la jeunesse et relève donc, selon les canons du « bon goût », d’un registre mineur.

Carte postale. Collection particulière.

Qui se rappelle en effet encore de la Comtesse de Ségur et qui donne encore à lire à ses enfants Les Mémoires d’un âne ou Les Malheurs de Sophie ? Plus grand monde assurément. Le paradoxe est que Zénaïde Fleuriot jouit aujourd’hui de la même désaffection que son aînée alors que c’est elle qui, justement, succède à la Comtesse de Ségur, décédée en 1874, en tant que porte-étendard de la fameuse Bibliothèque rose des éditions Hachette. Née à Saint-Brieuc en 1829, celle qui publie ses premiers romans sous le pseudonyme d’Anne Edianez est alors une véritable vedette littéraire : couronnée l’année précédente par l’Académie française pour son roman Aigles et Colombes, elle dirige le journal La Semaine des familles  et collabore à de nombreux titres.

Ajoutons d’ailleurs que l’influence de Zénaïde Fleuriot dépasse très largement les frontières hexagonales. En effet, la Bretonne compte parmi les rares écrivains français à être traduits en allemand, notamment par la célèbre maison d’édition autrichienne Hoffmann. Un détail d’une certaine importance quand on veut bien se rappeler l’état des relations entre Paris et Berlin à la suite de la guerre de 1870 et de la perte de l’Alsace et de la Lorraine. Ce succès est d’autant plus remarquable que sa carrière est fulgurante. Ce n’est ainsi qu’en 1857 qu’elle enregistre son premier succès en remportant le premier prix du concours proposé par La France littéraire, avec une nouvelle intitulée La Fontaine du moine rouge, épreuve qu’elle remporte de nouveau l’année suivante avec Une heure d’entraînement.

Montée à Paris pour y fuir une épidémie de choléra et se retirer dans une communauté religieuse, Zénaïde Fleuriot découvre néanmoins dans la capitale le milieu littéraire. Elle s’y installe d’ailleurs définitivement à partir de 1868 et entre dans la période la plus prolifique de sa vie sur le plan littéraire, activité que seule la mort, survenue en 1890, vient interrompre. Figure de proue des éditions Hachette, elle bénéficie de larges campagnes de promotion à chaque nouvelle publication et, en 1889, son roman Loyauté est ainsi promu :

« Ce nouveau récit de Mlle Z. Fleuriot est un de ces menus drames intimes, au tissu plein de délicatesse et de grâce, que l’auteur excelle à imaginer. […] Sentiments et aveux, joies et tristesses, tout s’y déroule en une sorte de flux et de reflux mystérieux, que semble rythmer le flot même de cette mer de Bretagne au murmure de laquelle combat et triomphe le loyal amour de Guyonne pour Olivier de Bellefontaine. »

Signe d’une sorte opulence, Zénaïde Fleuriot achète en 1873 une maison à Locmariaquer, à l’embouchure du golfe du Morbihan, demeure qui témoigne tout autant de son attachement profond à la Bretagne que d’un certain confort financier. Elle est en effet devenue une auteure à succès et les périodes de vaches maigres de sa jeunesse, où les dettes accumulées par son père se faisaient profondément ressentir, sont désormais terminées.

La demeure de Zénaïde Fleuriot à Locmariquer. Carte postale. Collection particulière.

Mais alors, comment expliquer l’oubli qui entoure aujourd’hui la romancière bretonne ? Aux classiques affres du temps – déjà, en 1910, Le Figaro range ses personnages aux côtés de ceux de la Comtesse de Ségur et parmi les « héros d’autrefois » – il  convient sans doute de privilégier une grille de lecture plus politique. Née dans un milieu très conservateur, elle vit une foi ardente qui l’amène même à songer à entrer en religion et qui, tout naturellement, transparait très largement dans son œuvre.  Dans une période où la jeunesse non seulement n’échappe pas  au politique mais devient un véritable champ où s’affrontent les idéologies concurrentes, une telle ferveur religieuse n’est bien évidemment pas neutre et la prive, à n’en pas douter, de tout un lectorat.

Erwan LE GALL