Une soirée mémorable !

La soirée organisée hier à Chelun par la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine fut une remarquable réussite, à tel point que devant l’affluence, la manifestation a dû être relocalisée… en l’église, la salle communale étant trop petite ! Après un bref propos liminaire de Gérard Raison, Maire de Chelun, Daniel Pichot, président de la SAHIV, rappelle que l’organisation d’un tel événement est une grande première pour la Société puisque depuis sa création en 1844, la vénérable société n’a pas l’habitude de décentraliser hors les murs de Rennes ses conférences. Gageons qu’à cet égard Chelun marquera un précédent et encouragera le renouvellement d’une telle initiative !

Le calvaire du Bignon, ouevre de Joseph Bellier. Photo E. Le Gall.

Nous ne reviendrons pas  ici sur les communications prononcées par Yann Lagadec et Jean-Claude Meuret, les cas de l’instituteur François Louvel et du sculpteur Joseph Bellier – le « facteur Cheval de l’Ille-et-Vilaine » pour reprendre la jolie expression de D. Pichot – ayant été longuement détaillés dans recension du volume publié par la Société archéologique dans le deuxième numéro d’En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne. Pour autant, il est frappant de remarquer que ces deux conférences ont en commun de retracer l'histoire de personnes qui nous ont laissé une documentation exceptionnelle – le carnet de l'instituteur et le calvaire – mais dont, en définitive, on ne sait pas quasiment rien. C'est là une démarche qui ressemble grandement à celle menée de plume de maître par M. Perrot dans sa Mélancolie ouvrière et dont on ne dira jamais assez tout ce qu'elle semble pouvoir apporter à l'historiographie.

Mais cette soirée ne se limitait pas aux interventions des auteurs de Chelun, village breton, 1914-1915 puisqu’outre Yann Lagadec et Jean-Claude Meuret, l’assistance a pu écouter Samuel Gicquel à propos du journal de paroisse du curé de La Guerche, commune distante quelques kilomètres seulement. Cette communication était d’autant plus intéressante qu’il s’agit-là d’une source encore grandement méconnue, peu exploitée alors que précisément ces documents peuvent s’avérer parfois extrêmement riches. Certes, ces journaux de paroisse commencent à se dévoiler peu à peu au regard de l’historien, bien souvent d’ailleurs à l’occasion de leur transfert aux archives diocésaines, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une documentation encore assez neuve.

Le journal de la paroisse de La Guerche est tenu par l’abbé Théophile Sevaille, un curé qui appartient à une certaine élite intellectuelle puisqu’il est licencié en lettres. Bien évidemment cette dimension se ressent dans ce texte, ce qui n’est d’ailleurs pas sans lui conférer un intérêt supplémentaire. Ainsi, au fil de ces pages, il se fait l’écho de ce qu’il pense être le conflit, de ce qu’il en connaît, ce qui permet de se faire une bonne idée de ce que peut être le compréhension de la Première Guerre mondiale dans un bourg rural de Haute-Bretagne.

Le monument aux morts situé à l'intérieur de l'église de Chelun. photo E. Le Gall.

De manière assez surprenant, mais sans doute faut-il y voir là l’effet de la presse et notamment, pour le secteur, de L’Ouest-Eclair, il apparait que Théophile Sevaille a une assez bonne connaissance globale du conflit, y compris dans ses dimensions les plus lointaines telles que les Dardanelles ou le front de l’Est, voire même certaines opérations en Chine ! Mais les journaux ne sont pas sa seule source d’information puisque l’on sait qu’il parle avec de nombreux blessés venus en convalescence à La Guerche – le village accueille trois hôpitaux. Or ceux-ci jouent un grand rôle dans la connaissance par Théophile Sevaille et, au-delà par les populations de la Guerche, des conditions de vie des poilus sur le front. C’est ainsi que le journal de paroisse se fait l’écho de tranchées creusées par des blessés presque remis sur pied afin que l’arrière puisse se représenter la réalité du front.

Pour autant, cette connaissance de la guerre n’est pas sans défauts. Ainsi le canal informatif peut s’avérer défectueux en ce qui concerne la mort des paroissiens mobilisés, que l’on n’apprend pas nécessairement au fur et à mesure, ou, plus surprenant, en ce qui concerne l’Armistice. C’est ainsi que celle-ci est annoncée à La Guerche le 7 novembre 1918, pour être finalement confirmée le 11.

La gare de La Guerche. Carte postale (détail). Collection particulière.

De même, ces informations donnent naissance à une grille d’interprétation qui ne peut que laisser songeur tant cette lecture cléricale du conflit remet en cause l’idée d’Union sacrée, plus que jamais reléguée au rang de posture. Théophile Sevaille donne ainsi souvent son point de vue sur les anticléricaux, à tel point que Samuel Gicquel se demande s'il n'y a pas en réalité deux fronts, celui de la guerre et celui du cléricalisme. La mort du pape Pie X est ainsi l'occasion de spéculations extravagantes. Certains avancent ainsi qu'il serait mort en apportant des fonds à l'Autriche-Hongrie ! De même on avance çà-et-là que la guerre serait une sanction contre l'inconduite des hommes. Théophile Sevaille peste également contre les prêtres sous les drapeaux et accuse l'Etat de vouloir fragiliser la situation pastorale dans les paroisses. Mais, à l'inverse, il ne cesse de souligner l'héroïsme des prêtres mobilisés.

Fustigeant les anticléricaux et encensant les religieux, ce journal de paroisse amène à interroger la réalité de l’Union sacrée au-delà des murs du Palais bourbon. Ce faisant, grâce à Samuel Gicquel, se dessine le chantier de l’histoire de la compréhension, dans les campagnes, de la Première Guerre mondiale au moment où elle se déroule, dimension qui assurément constituera un chapitre essentiel du prochain colloque La Grande Guerre des Bretons !

Erwan LE GALL