Débarquement des doughboys, quel climat commémoratif ?

En politique, la commémoration n’est pas un geste neutre. Sous le prétexte du sacrosaint « devoir de mémoire », il y a toujours la volonté de délivrer un message fort. Que l’on se rappelle par exemple de François Mitterrand, élu en mai 1981 avec le soutien des communistes, affichant sa bonne entente avec Margaret Thatcher et Ronald Reagan lors des commémorations du 40e anniversaire du débarquement de Normandie. L’intention était alors moins de rendre hommage aux vétérans du D-Day que de mettre en avant la solidité de la relation entre Paris, Londres et Washington, capitales faisant alors front dans la crise dite des Euromissiles qui les opposait à l’URSS.

Le général Pershing en gare de Boulogne-sur-Mer, le 13 juin 1917. BDIC: VAL 309/110.

Les chefs d’Etat aiment donc se mettre en scène et utiliser l’histoire avec des attentes résolument inscrites dans le présent. Mais, la commémoration en tant que répertoire d’action a ceci de contraignant qu’elle est indissociable d’une chronologie qui n’est pas, parfois, sans percuter de plein fouet le calendrier politique. De ce point de vue, le centenaire de la bataille de la Somme restera certainement un cas d’école. Comment en effet commémorer l’union franco-britannique soulignée par ces poilus et ces Tommies unis dans un même élan offensif pour sortir de leurs tranchées au petit matin du 1er juillet 1916 alors qu’une semaine plus tôt les urnes accouchaient d’un retentissant Brexit ?

En décidant de quitter les accords de Paris, Donald Trump assombrit singulièrement le climat politique des commémorations du centenaire du débarquement des premiers contingents américains à Saint-Nazaire, le 26 juin 1917. Comment en effet, dans un tel contexte, célébrer l’amitié entre Paris et Washington, l’union entre doughboys et poilus ? Comment, alors que les relations entre la Maison Blanche et l’Elysée paraissent être aussi tendues que distendues, mettre en avant le pont jeté de 1917 à 1919 entre la France et les Etats-Unis alors que, justement, Donald Trump décide de faire cavalier seul ? Deux scénarios peuvent être envisagés.

Le premier est celui d’une voilure commémorative réduite : le président américain refusant d’honorer de sa présence les manifestations, la réciprocité s’imposera donc pour le locataire de l’Elysée. Sur les quais du port de Saint-Nazaire, ce sont donc des ministres qui seront présents et l’on peut sans doute, sans trop prendre risquer de se tromper, miser sur le tandem constitué par Sylvie Goulard, en charge des armées, et Jean-Yves Le Drian, titulaire du portefeuille des affaires étrangères et toujours très proche de tout ce qui concerne de près ou de loin la Bretagne. Ajoutons du reste que sa présence n’en constituera pas moins un symbole politique fort dans cette crise climatique puisque l’ancien maire de Lorient est aussi ministre de l’Europe, une donnée qui compte dans cette recomposition diplomatico-environnementale.

Donald J. Trump. Wikicommons.

 Disons-le de suite, ce scénario est le plus probable, ce d’autant plus qu’Emmanuel Macron s’est rendu à Saint-Nazaire il y a quelques jours, à l’occasion du départ du dernier né des célèbres chantiers navals, le MSC Meraviglia. Mais un coup de théâtre n’est pas impossible. On sait en effet que le président de la République fut l’assistant du philosophe Paul Ricœur et qu’il est, à cet égard, un fin connaisseur de la geste commémorative. Dès lors, pourquoi ne pas profiter des commémorations du centenaire du débarquement des premiers doughboys pour, au contraire, réaffirmer la proximité franco-américaine et, ce faisant, isoler encore un peu plus Donald Trump dans la tour d’ivoire de sa Maison blanche ? En revenant à Saint-Nazaire, Emmanuel Marcon s’inscrirait dans le temps long d’une amitié franco-américaine, manière de souligner que quels que soient les chefs d’Etat, cette relation perdure. Bref, un moyen de prendre date avec une opposition américaine qui se fait chaque jour de plus en plus offensive. L’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ce scénario mais une chose est néanmoins certaine : c’est bien à un centenaire hautement politique que nous assisterons.

Erwan LE GALL