Le 6 juin 1945 : Commémorer le premier anniversaire du Débarquement

Le Débarquement du 6 juin 1944 est très rapidement perçu comme « une date historique » en France et dans le monde1. Il n’est donc pas surprenant qu’un an plus tard, soit à peine un mois après la capitulation allemande, les Alliés décident de « célébrer le premier anniversaire du début de l’effondrement de la Wehrmacht ». La précocité de l’évènement peut en revanche surprendre tant la France porte encore les séquelles de la guerre, que ce soit à travers les pénuries, la reconstruction, les problèmes de logement, le retour des prisonniers et des internés, ou encore la terrible épuration… Pourtant, une telle commémoration, parce qu’elle est symbolique, apparaît nécessaire pour rassembler autour de nouveaux symboles fédérateurs une société qui s’est dangereusement fracturée sous l’Occupation.

Débarquement de troupes en Normandie. Carte postale. Collection particulière.

Les commémorations donnent tout d’abord lieu à une description historique des enjeux et des missions du Débarquement. Le discours est naturellement très édulcoré et vante le 6 juin comme étant le jour où « le fameux mur de l’Atlantique s’écroulait lamentablement sous les coups formidables des forces anglo-américaines ». La description proposée le 7 juin 1945 dans les colonnes de La Liberté du Morbihan met ainsi en scène l’héroïsme des Alliés et insiste sur les opérations menées dans la nuit du 5 au 6 juin par « les premiers soldats qui touchent le sol de la France ». Mais, détail frappant, le quotidien morbihannais n’évoque pas les parachutistes français du Special Air Service qui ont pourtant sauté sur la Bretagne, cette même nuit, dans le cadre de l’opération Overlord2

Si le quotidien lorientais ne parle pas les festivités organisées en marge de ces commémorations, il décrit en revanche le programme suivi par la délégation composée des « ambassadeurs des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, du Canada [et des] ministres [français] de la Guerre, de la Marine et de l’Air ». Les festivités débutent à 7 heures du matin par « une reconstitution de l’abordage des troupes canadiennes » à Bernières-sur-Mer. Puis, après un déjeuner à Bayeux, le cortège se rend successivement à Arromanches pour « une prise d’armes par les troupes française » ; aux pieds des falaises de Saint-Cosme-de-Fresné pour un « service religieux anglais » ; et enfin à Saint-Aubin-sur-Mer, Hermanville-sur-Mer et Ranville, « premier village de France libéré » pour y inaugurer des plaques commémoratives. Le lendemain, Joseph Paul-Boncour, qui se trouve en Californie afin de représenter le Gouvernement provisoire lors d’une grande conférence internationale chargée de jeter les bases de la future Organisation des Nations unies, dépose, au nom de la France, une gerbe de fleurs sur le monument aux morts de San Francisco et rend visite à des blessés rapatriés aux Etats-Unis.

L’absence la plus remarquée, ce 6 juin 1945, est très certainement celle du héros français de la Résistance, Charles de Gaulle. En fait, la mémoire étant avant tout l’outil politique du temps présent, l’homme du 18 juin décale volontairement son voyage de quelques jours afin de le faire coïncider avec « l’anniversaire » de son retour « sur les terres de la France » et celui des « premières villes libérées »3. Le chef du Gouvernement se rend donc à Bayeux, à Saint-Lô puis à Coutances où l’attend une foule « enthousiaste ». Il y prononce alors une série de courts discours qu’il ponctue « en donnant rendez-vous […] à l’année prochaine ». Presque prophétique, cette conclusion prend d’autant plus de saveur lorsque l’on sait, qu’un an plus tard, le 16 juin 1946, c’est à Bayeux qu’il prononcera l’un des discours les plus importants de sa carrière politique.

14 juin 1944: le général de Gaulle débarque à Courseulles. Carte postale. Collection particulière.

En choisissant de concentrer ces commémorations du 6 juin 1945 à proximité des plages du Débarquement, les autorités interalliées dessinent les contours d’un discours mémoriel centré sur la Normandie. Comment expliquer un tel choix ? Peut-être cet angle est-il moins sujet à controverse dans le contexte tendu de l’épuration. Il ne s’agit pourtant pas, pour les autorités, de délaisser les autres commémorations locales. En effet, au moment où Charles de Gaulle s’adresse au Normands, le ministre de l’Intérieur, Adrien Tixier, assure la présence officielle du Gouvernement provisoire à Oradour-sur-Glane où l’on commémore également « le premier anniversaire du martyre » de ce villlage4. Quant à Charles de Gaulle, il ne manque pas de se déplacer en Bretagne à la fin du mois de juillet 1945 pour y commémorer l’anniversaire de la Libération de – presque – l’intégralité de la région. Il insiste alors sur les problèmes politiques que rencontrent le pays et déclare publiquement refuser un retour à la constitution de la IIIe République. Derrière les commémorations de circonstance, se cachent plus que jamais des logiques politiques, à l’heure où la France entame sa reconstruction économique et sociétale.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Une date historique. Le 6 juin 1944 », La Liberté du Morbihan, 7 juin 1945, p. 1.

2 Sur ce point, voir notamment PORTEAU, Olivier, « L’Action combinée du 2e régiment de chasseurs parachutistes et de la Résistance bretonne dans le dispositif stratégique de l’opération Overlord », in HARISMENDY, Patrick et LE GALL, Erwan (dir.), Pour une histoire de la France Libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 107-123, et PORTEAU, Olivier, « Esquisse d’un bilan réévalué de l’action des parachutistes français en Bretagne : mission militaire et/ou politique ? », En Envor, revue d'histoire contemporaine en Bretagne,‎ été 2013, en ligne.

3 « La Normandie a fait un accueil enthousiaste au général de Gaulle », La Liberté du Morbihan, 12 juin 1945, p. 1.

4 « L’anniversaire du massacre d’Oradour-sur-Glane », La Liberté du Morbihan, 12 juin 1945, p. 1.