La 7e Compagnie et le cliché tenace d’une armée maladroite

Le 11 mai 2017, TMC rediffuse un film culte du cinéma français réalisé en 1973 : Mais où est donc passée la 7e compagnie ? Malgré la relative confidentialité de la chaîne de la TNT, près de 2,3 millions de téléspectateurs se retrouvent devant leurs écrans pour suivre les aventures des hommes du sergent-chef Chaudard, soit 10% de la sacro-sainte part de marché si chère aux annonceurs. TMC signe alors une audience plus de deux fois supérieure à sa moyenne habituelle. Le succès est d’autant plus incroyable que le film est, depuis plus de 40 ans, régulièrement rediffusé. Diffusé sur TF1 le 16 septembre 2012, il réunit  par exemple 6,8 millions de téléspectateurs, puis encore 5,7 millions le 4 août 2016 soit, à chaque fois, près d’un tiers des Français présents devants leurs écrans… Au regard de tels chiffres, il n’est pas totalement absurde de penser que tous les Français – ou presque – ont déjà vu au moins un épisode de la 7e Compagnie. De fait, la célèbre trilogie réalisée par Robert Lamoureux joue un rôle non négligeable sur la représentation que les Français se font d’un épisode peu connu de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : la bataille de France1.

On a retrouvé la 7e compagnie. Droits réservés.

Avant toute chose, il convient de rappeler que l’intention du réalisateur est avant tout de distraire le public et non de lui présenter un documentaire historique. Partant de ce principe, le scénario s’autorise quelques libertés. La forêt de Machecoul, lieu de l’emblématique démonstration de la « nage du chef », en est le parfait exemple. Si la forêt apparaît bien sur les cartes de Loire-Atlantique, aucun affrontement ne s’est en revanche déroulé dans cette zone en 1940 comme le souligne Emmanuel Leduc de l’association Machecoul Histoire2. Ce n’est là qu’une des nombreuses approximations des films de Robert Lamoureux, à l’image du half-track américain grossièrement déguisé en dépanneuse allemande, ou du North American T-6 Texan maquillé en avion de chasse français.

Qu’à cela ne tienne, ces erreurs relèvent davantage de l’anecdote. En revanche, les deux premiers épisodes, axés sur la bataille de France, posent un véritable problème d’ordre mémoriel puisqu’ils contribuent à pérenniser de nombreux clichés ancrés dans la mémoire collective. Un soldat qui glisse par mégarde et provoque son lot de catastrophes, des chefs qui désertent lâchement, d’autres qui refusent de s’enfuir d’un vieux château pour reprendre le combat… c’est très clairement l’image d’une armée maladroite, mal préparée et sans envie qui est véhiculée dans ces films. Ce faisant, Robert Lamoureux retranscrit des sentiments encore très largement partagés dans les années 1970, à une époque où il est encore difficile d’assumer la déroute « honteuse » du printemps 1940. Il est alors courant d’ironiser sur la défaite de « l’armée Ladoumègue3 », celle que Louis-Ferdinand Céline résume, quelques années plus tôt, à « neuf mois de belote, six semaines de course à pied ». Loin de vouloir tordre le coup à cette idée, Robert Lamoureux s’en amuse dès le dialogue inaugural de sa trilogie :

« En ce clair matin de juin 1940, l'armée française reculait, selon le porte-parole du grand quartier général, dans les meilleures conditions. Aucune armée avant celle-ci n'avait reculé aussi bien. Ni surtout aussi vite. Le porte-parole du GQG n'allait pas jusqu'à dire que c'était un plaisir de reculer ainsi... Mais presque... »

Devenue culte, cette réplique semble figer inexorablement les clichés qui collent aux soldats de 1940. Pourtant, depuis les années 1980, les travaux historiques remettent très largement cette grille de lecture en insistant davantage sur « l’étrange victoire allemande » que sur la prévisible défaite d’une armée française incompétente4. Mais ces conclusions ne parviennent pas à « s’acculturer dans la société française » comme le regrettent Gilles Vergnon et Yves Santamaria5. Les multiples rediffusions des épisodes de la 7e Compagnie et leurs audiences vertigineuses contribuent très certainement à maintenir les croyances populaires autour de la campagne de France. Et si l’on pouvait espérer qu’un nouveau succès cinématographique inverse la tendance, rien ne parait indiquer que l’on prenne ce chemin. A la fin de l’année 2016, La Folle histoire de Max et Léon attire plus de 1,2 millions de spectateurs dans les salles, ce qui laisse sérieusement envisager un succès populaire lors de ses prochaines diffusions à la télévision. La comédie, portée par les humoristes du Palmashow, met en scène deux soldats fainéants et maladroits qui combattent au printemps 1940 avant de devenir résistants malgré eux… dans la lignée des hommes du sergent-chef Chaudard.

Jean Lefebvre, un acteur populaire mais aussi un authentique combattant de 1940, emprisonné au Fronstalag de Voves, en Eure-et-Loir. Droits réservés.

Malgré tout, ne boudons pas notre plaisir et profitons d’une nouvelle diffusion de la 7e Compagnie pour nous détendre, tout en gardant en tête qu’il s’agit avant tout d’une fiction. Qui plus est, d’un point de vue historique, la trilogie n’est pas non plus sans intérêt. N’oublions pas qu’elle met en scène des acteurs et un réalisateur qui sont des contemporains de la défaite de 1940. Ainsi, certains détails s’apparentent à d’authentiques témoignages tel cet agacement à propos des fameuses bandes molletières si critiquées dans les rangs, ou encore la suspicion permanente quat à la présence d’espions dans les rangs… Bref, ne nous attardons pas plus puisque, comme le suggère le lieutenant Duvauchel, « on peut en faire des choses en dix minutes ». Comme en profiter pour lire quelques pages d’un ouvrage consacré à la bataille de France ?

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 Sur ce point, voir SANTAMARIA, Yves et VERGNON, Gilles (dir.), Le syndrome de 1940. Un trou noir mémoriel ? Paris, Riveneuve, 2015 ; AZEMA, Jean-Pierre, 1940 : l’année noire, Paris, Fayard, 2010 ; ou encore VAÏSSE, Maurice (dir.), Mai-Juin 1940. Défaite française, victoire allemande, sous l’œil des historiens étrangers, Paris, Autrement, 2000. Signalons également ici l’excellente bande-dessinée de RABATE, Pascal, La Déconfiture (première partie), Paris, Futuropolis, 2016.

2 « Pourquoi les fans de la 7e Compagnie vont à Machecoul ? », Ouest-France, l’édition du soir, 5 juin 2015, en ligne.

3 Jules Ladoumègue est, dans les années 1930, une véritable icône du sport français. Il est l’auteur de nombreux records mondiaux de vitesse.

4 Sur ces questions, voir MARTENS, Stefan et PRAUSER, Steffen (dir.), La guerre de 1940, se battre, subir, se souvenir, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014.

5  SANTAMARIA, Yves et VERGNON, Gilles (dir.), op. cit., 2015, p. 9.