Guy La Chambre et Jacques Renouvin : duel pour l’honneur à Saint-Malo

Guy La Chambre est assurément un homme politique à part, à la croisée des chemins. Fils et petit-fils de député, il est l’incarnation de ces dynasties politiques qui paraissent relever d’une sorte de survivance de l’Ancien régime. Mais il est également une personne résolument ancrée dans la modernité, comme en témoigne son mariage très people avec la chanteuse Cora Madou et bien entendu son bilan politique, à commencer par la fusion qui lui doit beaucoup dans les années 1960 des trois communes de Saint-Malo, Saint-Servan et Paramé. Pour autant, une affaire dit bien combien Guy La Chambre appartient d’une certaine manière à une époque alors révolue : le duel qui l’oppose le 30 septembre 1934, sur l’hippodrome de Marville, à Saint-Malo, à l’avocat parisien Jacques Renouvin.

La rue Ville Pépin avant 1914, là où débute l'affaire opposant Guy La Chambre et Jacques Renouvin. Carte postale. Collection particulière.

Tout commence deux jours plus tôt, le 28 septembre 1934, non loin du monument aux morts de Saint-Servan, vers 13 h30, dans la rue Ville Pépin congestionnée par un embouteillage. L’avocat au barreau de Paris Jacques Renouvin reconnait la voiture du député-maire de la ville Guy La Chambre, sort de son véhicule et soufflette de deux coups de gants au visage le parlementaire. L’Ouest-Eclair, qui a manifestement du mal à rendre compte de cet incident aussi énigmatique qu’incongru, affirme que l’assaillant « lui lança ses deux gants par la figure, lui rappelant avec véhémence la nuit du 6 février »1, célèbre soirée d’émeutes parisiennes et véritable séisme politique aux multiples répliques. Dont cette scène et ce qui suit.

L’affaire s’envenime en effet dès le lendemain puisque Guy La Chambre exige des excuses pour cette humiliation publique, ce que refuse tout naturellement Jacques Renouvin. Les deux hommes se dotent de témoins qui se rencontrent en de secrets conciliabules qui ont lieu dans les salons de l’hôtel de l’Univers à Saint-Malo, là où loge l’avocat parisien venu sur la Côte d’Emeraude. Et la décision tombe, rocambolesque : puisque les deux hommes ne parviennent pas à un accord, c’est à l’épée que se règlera le différent !

Invraisemblable, ce combat dépasse de loin le cadre du simple fait divers. En effet, Jacques Renouvin n’est pas n’importe qui. Monarchiste convaincu, il est le petit-frère du célèbre historien et combattant de la Grande Guerre Pierre Renouvin. Surtout, il est membre des Camelots du Roi et de l’Action française. Et ce sont bien ces convictions qui expliquent l’outrage fait à Guy La Chambre, l’avocat parisien voyant en cet ancien ministre du cabinet Daladier, titulaire du portefeuille de la marine marchande lors des émeutes du 6 février 1934, l’un des instigateurs de la répression de cette manifestation. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi Guy La Chambre accepte de se soumettre à ce duel. C’est bien de probité politique, de défense de la raison d’Etat face à une nuit d’insurrection qu’il s’agit ici, plus que d’une simple question d’honneur personnel. L’affrontement a lieu à Saint-Malo, à l’abri des regards, au petit matin, dans les travées de l’hippodrome de Marville. Le combat est bref puisqu’il ne dure même pas deux minutes, mais s’achève sur la victoire du député-maire de Saint-Servan, le jeune avocat parisien étant rapidement touché au bras droit2.

Vue de l’hippodrome de Marville dans les années 1930. Collection particulière.

Fleurant le sujet sensationnel, et donc susceptible d’attirer un lectorat avide de nouvelles croustillantes, L’Ouest-Eclair couvre largement l’évènement, pour mieux s’en démarquer. En effet, avant même que le duel n’ait lieu, le quotidien rennais glose sur les deux protagonistes, considérant cette opposition comme un « moyen vraiment bien antique » de régler les problèmes3. Pour autant, on ne peut que remarquer combien cette improbable histoire témoigne d’une réelle fracture dans la société française, et bretonne. En effet, à Saint-Malo, l’affaire est loin de se terminer avec ce duel puisque le général Barthélémy, témoin de Guy La Chambre, est forcé de démissionner de son poste de l’Association des officiers de réserve de la subdivision de Saint-Malo, les membres de cette institution ayant globalement pris fait et cause pour Jacques Renouvin. C'est là une des multiples répliques du 6 février 1934 chez les anciens combattants en Ille-et-Vilaine... Jacques Renouvin, pour sa part, n’abandonne pas ses habitudes puisqu’en 1938 c’est Pierre-Etienne Flandin qu’il soufflette, lui reprochant d’avoir adressé à Hitler un télégramme de félicitations à la suite des accords de Munich. Une attitude qui témoigne d’un profond nationalisme et qui explique son engagement très précoce dans la Résistance, aux côtés d’Heny Frenay. Arrêté en janvier 1943, il décède un an plus tard à Mauthausen et est fait Compagnon de la Libération en 1946.

Erwan LE GALL

 

1 « Un violent incident », L’Ouest-Eclair, 37e année, n°13 841, 29 septembre 1934, p. 8.

2 « Le duel de Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, 37e année, n°13 843, 1er octobre 1934, p. 9.


3 « Un duel à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, 37e année, n°13 842, 30 septembre 1934, p. 11.