La catastrophe du Hindenburg et la presse bretonne

Le 6 mai 1937, le dirigeable Hindenburg achève paisiblement sa « 21e traversée de l’Atlantique » avec, à son bord, une quarantaine de passagers et une soixantaine de membres d’équipage1. Comme à chacun de ses atterrissages, le mastodonte allemand attire de nombreux curieux, ainsi qu’une multitude de journalistes. Mais ce jour-là, la manœuvre ne va pas se dérouler comme prévu. Alors qu’il est sur le point de se poser sur l’aéroport de Lakehurst, dans le New Jersey, aux Etats-Unis, le zeppelin s’enflamme subitement. Photographiée et fimée, la catastrophe fait immédiatement le tour du monde.

Le Hindenburg, fleuron de la technologie allemande. Carte postale. Collection particulière.

Dès le 7 mai, malgré une actualité internationale particulièrement chargée (guerre civile en Espagne, couronnement de Georges VI…), la presse bretonne place la catastrophe en première page de ses éditions. Cette spontanéité se fait néanmoins au détriment de l’analyse de l’information. Le traitement qui est réservé à l’évènement demeure en effet succinct, se contentant de reproduire les communiqués décrivant le drame. Ainsi, sans même tenter d’éditorialiser le contenu de leurs articles, la majorité des journaux se contente de relayer la thèse de l’accident, à l’exception notable de La Dépêche de Brest qui indique, brièvement, que des témoins affirmeraient qu’une « balle incendiaire tirée dans l’enveloppe de l’aéronef » serait à l’origine de l’embrasement2. Toutefois, s’appuyant sur les déclarations de l’ambassadeur d’Allemagne aux Etats-Unis, le quotidien brestois écarte rapidement la piste criminelle.

En définitive c’est bien la recherche d’une information sensationnelle, dans le but manifeste d’attirer le plus large lectorat, qui semble primer. D’où aussi la quête de la toute dernière information, afin de griller la politesse aux concurrents. En conséquence, un traitement aussi rapide de l’information exiger, de la part des journalistes, l’utilisation de données fiables ou, à défaut, l’usage rigoureux du conditionnel. Prudent, L’Ouest-Eclair annonce, par exemple, que la catastrophe aurait fait une centaine de victimes – soit la quasi-intégralité des personnes présentes à bord –, tout en indiquant que trois personnes « seraient sorties indemnes de la catastrophe »3.

Au fil des jours, les éditions affinent progressivement le bilan humain, tout en apportant des précisions sur les circonstances du drame4. De nombreux témoignages sont alors reproduits in extenso. Tous rappellent à quel point les voyageurs – et les témoins – ont connu l’horreur. Un survivant raconte, par exemple, que des passagers « atteints de graves blessures et les vêtements en feu, s’enfuyaient à travers les champs de manœuvre » 5. Plus loin, il poursuit son effroyable description en précisant que, quelques minutes après le drame, « des corps affreusement carbonisés apparaissaient déjà dans les flammes et dans la fumée ».

La caracasse du Hindenburg dégage une épaisse fumée. Carte postale. Collection particulière.

De manière assez surprenante, en dépit des relations diplomatiques tendues avec Berlin, la catastrophe humaine semble prendre l’ascendant sur la dimension géopolitique du drame. Et pourtant, le Hindenburg étant l’un des fleurons technologiques et l’une des fiertés de l’Allemagne nazie, la défaillance du zeppelin semble constituer une occasion idéale pour critiquer une nouvelle fois l’ennemi6. Certes, La Dépêche de Brest affirme que la presse allemande est « consternée », mais le quotidien breton enchaîne immédiatement en précisant que ses homologues germaniques demeurent confiants. Ces derniers, via les communiqués officiels du régime, laissent ainsi « entrevoir que l’Allemagne ne se laissera pas décourager par cet échec »7. Plus loin, le journal breton précise que « l’ingénieur constructeur du Hindenburg, le docteur Dürr, interrogé par le BZ AM Mittag, a déclaré que la compagnie poursuivrait sans retard l’achèvement de son nouvel aéronef, le LZ 130, en s’inspirant des enseignements que révèlerait l’enquête chargée d’établir les causes de la catastrophe de Lakehust »8. Passé les premiers jours, la presse bretonne, qui se tourne désormais vers l’ouverture imminente de l’exposition universelle, ne se montre plus très loquace sur le sujet. Ainsi, le 21 mai, l’hommage officiel rendu par Adolf Hitler aux victimes ne suscite qu’un court récit factuel du déroulement des cérémonies9.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

1 « La catastrophe de Lakehurst », L’Ouest-Eclair, 7 mai 1937, p. 3.

2 « La catastrophe du Lakehurst », La Dépêche de Brest, 8 mai 1937, p. 2.

3 « La catastrophe de Lakehurst », L’Ouest-Eclair, 7 mai 1937, p. 3.

4 Le 9 mai, L’Ouest-Eclair donner un bilan de « 35 morts, 33 blessés et 32 rescapés », proche de la réalité. « L’incendie du Hindenburg », L’Ouest-Eclair, 9 mai 1937, p. 2.

5 « La fin tragique du Hindenburg », L’Ouest-Eclair, 8 mai 1937, p. 3.

6 Le prestigieux zeppelin avait notamment été désigné pour survoler le stade olympique de Berlin lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux-Olympiques 1936.

7 « 36 personnes ont péri dans l’incendie du Hindenburg », La Dépêche de Brest, 8 mai 1937, p. 1.

8 Ibid.

9 « L’Allemagne a rendu un dernier hommage aux victimes du Hindenburg », L’Ouest-Eclair, 22 mai 1937, p. 2.