L’ombre d’un dirigeable sur la Bretagne : la « randonnée » du Dixmude en 1923

« La Roche-Bernard, jeudi 18 octobre 1923, par un radieux matin d'automne... […] Soudain, dans le ciel, un grondement lointain qui s'amplifie.... Toutes les têtes se lèvent, quand apparaît, venant du côté du Rodoir, un grand dirigeable à moins de 100 mètres de hauteur. Sur son flanc noir, en grande lettres blanches, une inscription : Dixmude et la foule pousse une clameur de surprise et d'admiration ‘‘Le Dixmude, le Dixmude...’’. »1

Par ces quelques lignes, Emile Pério restitue parfaitement l’émoi que devait susciter le passage surprise d’un aéronef au-dessus d’une petite commune bretonne. Difficile aujourd’hui de s’imaginer l’effet que pouvait procurer, sur les populations, le survol de cet étrange mastodonte de 226,5 mètres de long, véritable paquebot aérien2. Nul doute que son ombre plongeait partiellement les bourgs dans l’obscurité, telle une courte éclipse inattendue.

Le Dixmude et en médaillon son pilote, le lieutenant de vaisseau rennais Jean du Plessis. Carte postale. Collection particulière.

La foule est d’autant plus enthousiaste qu’elle reconnaît le nom de l’un des dirigeables les plus médiatisés. Fabriqué par les Allemands, ce Zeppelin est livré aux Français en 1920 au titre des dommages de guerre. S'il trouve refuge dans le Var, il n'en possède pas moins un fort lien de parenté avec la Bretagne. Dixmude rend en effet hommage à la célèbre brigade des fusiliers marins, considérée – à tort – comme étant exclusivement composée de Bretons3. Il est de plus manœuvré par un jeune Rennais de 31 ans, le lieutenant de vaisseau Jean du Plessis, et l'équipage est composé d’une quarantaine de marins dont de nombreux Bretons. En 1923, après deux ans d'inactivité, le Dixmude bat de nombreux records, ce qui le rend immédiatement populaire. En septembre, il décroche ainsi le record du vol sans escale en parcourant 9 000 kilomètres en 118 heures.

Un mois plus tard, alors qu’il survole la Bretagne pour un vol d’entraînement, passant au-dessus de Nantes, Vannes, Auray, Lorient ou encore Brest, la presse locale ne manque pas de saluer la visite de l’aéronef. Partout, son passage transforme l’évènement en « un souvenir durable »4 même si à Lorient les caprices du ciel « ont empêché de voir le Dixmude »5. Pour la population, le moment est d'autant plus exceptionnel qu'il existe peu de dirigeables et qu'en outre, ces derniers constituent, aux yeux des contemporains, une véritable prouesse technologique.

Carte postale. Collection particulière.

L'aéronef poursuit ensuite son chemin loin de la Bretagne dans l'espoir d'accomplir de nouveaux exploits. Le 21 décembre, alors qu’il survole la Méditerranée, le Dixmude subit selon toute vraisemblance la colère de la foudre. Le dirigeable disparaît en mer, emportant avec lui un équipage de 50 hommes, dont Jean du Plessis, et au moins 15 autres Bretons6. L’émotion est vive. La presse régionale déplore la perte de « l’un de nos plus grands dirigeables », et pleure la disparition de « beaucoup de nos compatriotes du Morbihan, du Finistère et des Côtes-du-Nord »7.

Un vibrant hommage leur est de nouveau rendu le 22 mai 1927 lorsque le ministre de la Marine, Georges Leygues, inaugure à Pierrefeu, dans le Var, le monument « aux héros du Dixmude »8. Hasard du calendrier, aux côtés des martyrs de l’aviation viennent se positionner les articles encensant l’exploit d'un autre pionnier. Charles Lindbergh vient en effet de relier, le 21 mai 1927, New-York à Paris « d’un coup d’aile »9.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 PERIO, Emile, « L'épopée du Dixmude », Le Ruicard, 1979, p. 2.

2 A titre de comparaison, le paquebot Île-de-France, lancé en 1926, mesure 241 mètres. Dans les années 1930, le paquebot Normandie décroche le titre de « plus grand paquebot du monde » en atteignant une longueur de 313,75 mètres. Enfin, toujours à titre de comparaison, L‘Harmony of the Seas, en mai 2016, détient le nouveau record avec 362 mètres.

3 Sur ce point voir FICHOU, Jean-Christophe, « Les Pompons rouges à Dixmude : l’envers d’une légende », Guerres mondiales et conflits contemporains, n°240, 2010, p. 5-21 ; ou encore « La bataille de Dixmude : une bataille bretonne ? (octobre-novembre-décembre 1914) », in LE PAGE, Dominique (dir.), 11 batailles qui ont fait la Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2015, p. 265-299.

4 PERIO, Emile, « L'épopée du Dixmude », art. cit.

5 « Le dirigeable Dixmude a survolé hier la région de l'Ouest » , L’Ouest-Eclair, 19 octobre 1923, p. 2.

6 René Hamon de Taulé, Charles Gaspaillard de Saint-Malo, Louis Tardivel de Tréveneuc, Joseph Collet de Lannebert, François Jean de Lorient, Jean Corouge de Tréguidel, Ange Boulleau d'Erquy, Joseph Guillemot de Pleudaniel, Pierre Jaffrezic de Lanriec, Amand La Forge de Bangor, Jean Richard de Plouezec, François Mainguy de Pléneuf-Val-André, Charles Quémerais de Plouescat, Maurice Charpentier de Nantes et Georges Hennique de Lorient.

7 « Un de nos plus grands dirigeables est considéré comme perdu », L’Ouest Républicain, 30 décembre 1923, p. 1.

8 « M. Georges Leygues a inauguré dimanche le monument aux héros du ‘‘Dixmude’’ », L’Ouest Républicain, 26 mai 1927, p. 1.

9 « De New-York à Paris d’un coup d’aile », L’Ouest Républicain, 26 mai 1927, p. 1.