La libération d'une espionne: Marie Ducret sort de la prison de Rennes

Moins connue que Mata Hari, Marie Ducret fait pourtant partie de ces femmes qui intègrent le monde de l’espionnage à l’occasion de la Première Guerre mondiale1. Âgée de seulement 22 ans, elle « usait de ses charmes auprès des officiers français afin d’obtenir d’eux des renseignements intéressants qu’elle faisait ensuite parvenir aux Allemands »2. Mais en octobre 1918, alors que l’issue du conflit ne fait désormais plus aucun doute, des soldats français viennent l’arrêter « quelque part dans une petite ville du front français de la Somme »3. Elle est immédiatement traduite devant un conseil de guerre qui décide de sa condamnation à mort. L’espionne échappe finalement à la peine capitale suite à « la liesse générale de l’Armistice » et l’autorité militaire décide de commuer sa peine en travaux forcés à perpétuité4.

Carte postale. Collection particulière.

Marie Ducret passe donc seize années de sa vie à la prison centrale de Montpellier avant de rejoindre celle de Rennes en 19345. Pendant sa longue détention, elle se réfugie dans la religion et noue des contacts réguliers avec les Sœurs Blanches d’Ecommoy. Ces dernières entament d’ailleurs des démarches afin d’obtenir sa libération6. Elles obtiennent gain de cause et, le 3 juin 1938, Marie Ducret retrouve enfin la liberté. Elle a désormais 42 ans. Bien qu’elle soit inconnue du grand public, l’ancienne espionne suscite l’intérêt de la presse nationale et sa libération est commentée dans la majorité des journaux nationaux7. Une telle médiatisation s’explique très certainement par le contexte géopolitique de l’époque. Et pour cause, l’arrestation de Lydia Oswald à Brest quelques mois plus tôt, en 1935, confirme la présence d’espions nazis sur le sol français8.

Dans ces conditions, relâcher une ancienne espionne pourrait constituer une menace pour la sécurité du territoire. Pourtant, de manière surprenante, la presse semble unanimement reconnaître le bien-fondé de la libération de Marie Ducret puisque, tout au long de sa détention, cette dernière s’est montrée « courageuse au travail, discrète et toujours prête à se rendre utile »9. Et puis, il faut dire que Marie Ducret ne correspond plus vraiment aux standards façonnés en partie par les romans de l’Entre-deux-guerres. Les espionnes y sont alors décrites comme des femmes fatales capables, en toute occasion, de se jouer habillement des faiblesses supposées de la gente masculine. Or, lorsqu’elle sort de prison, Marie Ducret ressemble davantage à « une morte vivante qui sort du tombeau » comme le rapporte le quotidien Ce Soir10. Elle ne représenterait donc plus une menace, ce qui en dit long sur la sexualisation des agents secrets et la force des stéréotypes de genre.

Carte postale. Collection particulière.

Jehan Tholome, dans L’Ouest-Eclair, préfère lui aussi s’attarder sur cette femme déboussolée dans cet univers de la liberté dont elle ne maîtrise plus les codes car « la vie change en vingt ans » 11. D’ailleurs, l’ancienne espionne ne s’apprête pas à retrouver son indépendance. Quelques heures après sa libération, elle entre en effet au couvent des Dames de Béthanie à Ecommoy dans la Sarthe. Cet ultime isolement est, comme l’espère le journaliste breton, sa dernière possibilité d’accéder à « l’oubli de sa trahison » .

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 Sur ce point, voir par exemple FORCADE, Olivier, « Objets, approches et problématiques d’une histoire française du renseignement : un champ historiographique en construction », Histoire, économie, société, 2012/2, p. 99-110.

2 « Après la trahison : l’oubli, le pardon… », L’Intransigeant, 5 juin 1938, p. 1.

3 Ibid.

4 « L’espionne Marie Ducret s’en va de la Centrale au couvent », Ce Soir, 5 juin 1938, p. 5.

5 « Résurrection… », L’Ouest-Eclair, 4 juin 1938, p. 6.

6 Ibid.

7 Y compris ceux des colonies. « Marie Ducret aujourd’hui graciée prend le voile », L’Echo d’Alger, 5 juin 1938, p. 2 ; « Marie Ducret », Le Nouvelliste d’Indochine, 19 juin 1938, p. 3.

8 Sur ce point, voir LOSTEC, Fabien, « Une espionne nazie en rade de Brest : l'affaire Lydia Oswald », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°7, hiver 2016, en ligne.

9 « Résurrection… », L’Ouest-Eclair, 4 juin 1938, p. 6.

10 « L’espionne Marie Ducret s’en va de la Centrale au couvent », Ce Soir, 5 juin 1938, p. 5.

11 « Résurrection… », L’Ouest-Eclair, 4 juin 1938, p. 6.

12 Ibid.