Saint-Nazaire, plaque tournante de la guerre civile russe ?

Si le mois de juin 1917 est celui de l’arrivée des premiers contingents du corps expéditionnaire américain envoyé en France pour participer à la Première Guerre mondiale, l’année 1919 est globalement celle de leur retour au pays. Mais tous les doughboys ne refranchissent pas nécessairement l’Atlantique pour rentrer dans leurs foyers. Certains, à l’instar du capitaine Jay F. Alkire, empruntent un chemin beaucoup plus tortueux, qui les plonge au cœur d’une guerre froide qui ne dit pas encore son nom.

Troupes russes. Carte postale. Collection particulière.

La chose est peu connue mais les alliés interviennent en Russie à la suite de la révolution d'octobre. Aussi, des contingents britanniques, français et même américains combattent auprès des Russes blancs qui affrontent les troupes de Lénine. Les alliés débarquent notamment quelques milliers d’hommes en août 1920 à Mourmansk et Arkhangelsk, dans le Grand nord sibérien, pour s’emparer de stock d’armes et éviter qu’ils ne viennent équiper les Bolcheviques ou, pire encore, les Allemands1.

Si à première vue cette histoire, par ailleurs peu documentée, semble peu, voire même pas du tout, concerner la Bretagne, la mise en ligne par la Bibliothèque du Congrès de nombreuses archives permet de nuancer ce propos. En effet, L’Arizona Republican, un quotidien du sud des Etats-Unis, publie en juillet 1919 deux lettres du capitaine Jay F. Alkire dans lesquelles cet officier détaille la mission reçue par un groupe de 10 Sammies : apporter via la Méditerranée, le détroit des Dardanelles puis la Mer noire 2 000 tonnes de ravitaillement aux Russes blancs engagés contre les bolcheviques. Or c’est de Bretagne et plus particulièrement de Saint-Nazaire, non loin de là ou quelques années plus tôt Lénine désormais au pouvoir s’était adonné aux plaisirs de la pêche à la crevette, que doivent partir ces hommes, à bord du SS KickapooI.

La destination finale de ce navire est Novorossiisk, dans le district de Kouban, à l’extrême sud de la Russie, non loin de Sébastopol. Le capitaine Jay F. Alkire précise que ce port est « le seul sur la Mer noire qui ne soit pas contrôlé par les Bolcheviques »2. Cet officier se trouve à la tête d’un détachement de 10 hommes qui, tous enrôlés sous la bannière de la Croix rouge américaine, participent à cette opération. On y trouve notamment trois médecins, un secrétaire, un interprète ainsi qu’un officier de relations publiques, ce qui semble attester d’une certaine volonté de communiquer autour de cette mission. Si les deux lettres ne détaillent pas la cargaison transportée à destination des Russes blancs, il est juste question d’un hôpital de campagne d’une capacité de 500 lits, le capitaine Alkire indique que le SS Kickapoo  est assuré à hauteur de 1 500 000 dollars, ce qui donne toutefois une idée de son importance3.

Le port gelé de Novorossiisk. Carte postale. Collection particulière.

Pour cet officier, il n’est toutefois pas question de participer aux combats contre la toute jeune armée rouge dirigée par Léon Trotsky. Il explique devoir en théorie bénéficier à son arrivée en Russie d’une masse importante de dockers qui lui permettront de décharger rapidement sa précieuse cargaison, et de reprendre la mer dans la foulée en direction, de la France avant, cette-fois, de repartir aux Etats-Unis. Le capitaine Alkire affirme même penser pouvoir se trouver à Paris en novembre 1919. Malheureusement, ces deux lettres ne disent pas si ses prévisions se sont révélées exactes. En revanche, elles apportent un regard sur un volet de l’histoire de la Bretagne qui, à notre connaissance, est jusqu’à aujourd’hui inédit.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 Pour de plus amples détails sur cette opération très méconnue, se rapporter à FONTAINE, André, Histoire de la guerre froide, Tome 1 : De la révolution d’Octobre à la guerre de Corée, 1917-1950, Paris, Seuil, 1965, p. 42-52 ainsi que AVENEL, Jean-David, Interventions alliées pendant la guerre civile russe (1918-1920), Paris, Economica, 2010 et, en ce qui concerne plus précisément les Etats-Unis, WILLETT, Robert L., Russian Sideshow. America’s undeclared war, 1918-1920, Washington, Potomac Books, 2003. Nous remercions notre ami Gwendal Piégais pour ces deux références bibliographiques.

2 « Captain Jay Alkire is not to Busy to Watch Phoenix Grow », The Arizona Republican, 13th year, Vol. 30, n°80, July 16, 1919, p. 12.

3 « Tells Preparations to Take Red Cross Supplies to Russia », The Arizona Republican, 13th year, Vol. 30, n°78, July 14, 1919, p. 5.