Un gouvernement de trois jours

La une de L’Ouest-Eclair du 5 juin 1935 est de celles des jours graves. Un titre en pleine page barre le quotidien : le cabinet Bouisson est renversé. Il est vrai qu’un changement de gouvernement est un évènement important dans la vie politique d’un pays, de surcroît dans le contexte compliqué du milieu des années 1930, les soubresauts du 6 février 1934 n’étant après-tout pas si lointains. Pour autant, un détail ne manquera pas d’attirer l’attention du lecteur : renversé le 4 juin 1935, le cabinet Bouisson avait été formé le 1er, battant ainsi un des plus incroyables records de précocité de l’histoire pourtant riche de l’instabilité politique de la IIIe République.

Fernand Bouisson, en 1932. Gallica / BNF: Mondial MON 1-1008.

Ancien rugbyman de haut niveau – passé par le Stade français mais également … l’Olympique de Marseillle – Fernand Buisson inaugure sa carrière politique dans le sud, en 1906, en devenant Maire d’Aubagne. Puis vient la députation, d’abord sous les couleurs des socialistes indépendants, ensuite de la SFIO. C’est d’ailleurs au Palais Bourbon qu’il construit sa carrière politique, ne tardant pas à devenir une des figures les plus brillantes de l’Assemblée nationale, qu’il préside de 1927 jusqu’à 1936. Extrêmement habile tout en étant doté d’un fort sens de l’intérêt du pays, il se construit au perchoir une remarquable réputation d’arbitre impartial qui conduit le Président de la République, Albert Lebrun, à lui demander de former un cabinet, afin de succéder à Pierre-Antoine Flandrin, renversé peu de temps auparavant.

Homme de synthèse et de conciliation, Fernand Bouisson se trouve à la tête d’un gouvernement qui ne manque pas de frapper du fait de la diversité de ses membres. Aux côtés de Georges Mandel et du phœnix Joseph Caillaux, que l’affaire éponyme à la veille de la Première Guerre mondiale n’a pas tué politiquement, figurent pêle-mêle Louis Marin, Pierre Laval et Philippe Pétain ! Mais seuls les adeptes de l’uchronie, ce hobby qui consiste en une réécriture de l’histoire à partir de la modification d’un évènement, peuvent dire ce qu’aurait pu donner un si curieux attelage gouvernemental puisque, dès sa présentation devant la Chambre, le cabinet Bouisson est renversé.

Carte postale. Collection particulière.

C’est bien cette grave nouvelle qui justifie que L’Ouest-Eclair consacre sa une à la situation politique du moment. Or l’on connait les convictions du grand quotidien breton qui, bien que rallié à la République, n’en est pour autant pas très favorable à la gauche et aux combinaisons de couloir qu’impose le parlementarisme. Sans surprise, l’éditorialiste du journal rennais ne manque pas de fustiger le manque de discipline des députés radicaux-socialistes qui, pour deux suffrages, font tomber le Gouvernement. Car pour L’Ouest-Eclair, ce sont bien eux qui portent la responsabilité des « interventions ridicules et des harangues inutiles » au cours d’une séance « mal présidée et mal conduite » aboutissant à un vote qui eut lieu « dans un désordre indescriptible » et dont les résultats ne sont connus qu’après « communication de divers chiffres faux et au milieu d’un étonnement voisin de la consternation ».

Mais il convient de se méfier de cette description puisque sous des apparences de grande objectivité, le quotidien breton s’avère délivrer un certain nombre de messages dont l’orientation politique ne laisse que peu de doutes. Certes, L’Ouest-Eclair parait soucieux de « sauver le régime et le franc » mais en faisant trop clairement porter la responsabilité de la chute du cabinet Bouisson aux radicaux, le journal entre lui-même dans le jeu politique. La preuve en est que la tentative de coalition préparée par les radicaux, les républicains-socialistes et les socialistes est qualifiée de « formule de cartel de combat et dictature jacobine ».

Erwan LE GALL