Downton Moëllan

Il est des bâtiments emblématiques qui constituent d’excellents prétextes pour dresser, sur plusieurs générations, l’histoire d’une famille. Le célèbre château de Highclere est ainsi le véritable héros de l’excellente série Downton Abbey, remarquable fresque de la société britannique de la première moitié du XXe siècle. Plus en rapport avec la péninsule armoricaine, c’est le même principe qui gouverne l’ultime tome de Ces Messieurs de Saint-Malo : le personnage central de ce roman est en effet moins un descendant des Carbec que la malouinière qui les accueille tous, chaque été. On comprend dès lors que Bernard Boudic se soit approprié cette formule pour composer, autour du château de Plaçamen à Moëlan-sur-Mer, non pas une œuvre de fiction mais un véritable livre d’histoire1.

Carte postale, collection particulière.

Ayant compulsé de nombreuses sources et ayant énormément lu (ce qui donne d’ailleurs lieu à un appréciable appareil critique), l’auteur articule son propos autour du destin d’une gigantesque propriété de 200 hectares qui, fait remarquable, traverse les siècles jusqu’aux années 1960 sans être démembrée. Là est sans doute d’ailleurs une des limites de l’ouvrage. Une telle continuité étant tout de même assez exceptionnelle, sans doute que la portée indiciaire du château de Plaçamen pourra être discutée. En d’autres termes, les conclusions que permet de tirer cet ouvrage ne valent probablement pas pour toutes les familles nobles de Bretagne.

Il est un domaine en particulier qui parait bien singulier et propre à la famille de Beaumont : la réussite économique et l’excellence œnologique. Pour des raisons qu’il serait trop long de rapporter ici, de nombreux ouvrages expliquent que les Bretons de la Belle époque ne connaissent pas le vin et que, pour faire simple, ils le découvrent pendant la Première Guerre mondiale. Or, non seulement une telle assertion est fausse – le Muscadet n’est-il pas un vin Breton ? – mais Bernard Boudic avec ce livre apporte une nouvelle pierre dans le jardin de cette assertion stupide : la famille Beaumont est en effet implantée à Pauillac depuis le XVIIIe siècle et y possède même jusqu’au début des années 1960 l’un des plus prestigieux vignobles au monde, celui de Château Latour (p. 145-152). Autrement dit, l’un des plus célèbres vins de Bordeaux n’est pas sans connections avec la Bretagne, ce qui du point de vue historiographique est assez ironique.

Mais cette particularité ne saurait masquer certains traits plus généraux de l’histoire de ce Château en Bretagne qui, en grande partie, contribuent à l’intérêt de l’ouvrage de Bernard Boudic. Tel est notamment le cas de l’opposition systématique des propriétaires de Plaçamen à la République et encore plus aux lois laïques, ce qui n’est pas sans faire penser à l’exemple de Missillac en Loire alors inférieure et de la famille de Montaigu. Ou encore à celui de Quessoy, dans les Côtes-du-Nord, avec la famille du Plessis de Grénédan2. Il ne semble d’ailleurs pas excessif de parler à ce propos de véritable guérilla administrative et politique entre les de Beaumont et les représentants de l’Etat.

Carte postale, collection particulière.

Peut-être d’ailleurs que l’ouvrage de Bernard Boudic aurait pu s’attarder plus longtemps sur les adversaires de Plaçamen. On doit ainsi avouer notre frustration de croiser au détour d’une page la figure du sous-préfet du Finistère d’Henri Collignon (p. 125) sans réellement en apprendre plus sur son action en faveur de l’implantation de la République. Mais là est une critique qui ne saurait en rien masquer l’intérêt d’une approche résolument originale et efficace.

Erwan LE GALL

BOUDIC, Bernard, Un Château en Bretagne. Le domaine de Plaçamen (Moëlan-sur-Mer) de 1789 à nos jours, Spézet, Coop Breizh, 2015.

 

 

 

 

1 BOUDIC, Bernard, Un Château en Bretagne. Le domaine de Plaçamen (Moëlan-sur-Mer) de 1789 à nos jours, Spézet, Coop Breizh, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Sur cette question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, La courte Grande Guerre de Jean Morin, Spézet, Coop Breizh, 2014.