Henriette Le Belzic et l’horreur du système concentrationnaire nazi

Dès les premiers jours de l’été 1940, des centaines de Bretons décident de résister à l’Occupant. Tous ne connaissent pas le même destin. Si certains parviennent à passer entre les mailles du filet de la répression nazie, d’autres s’en sortent moins bien. C’est le cas d’Henriette Le Belzic qui, durant près de quatre ans, survit au sein de l'un des pires système concentrationnaire de l'histoire du XXe siè-cle, pourtant très riche en la matière. Son expérience, particulièrement émouvante, nous est connue grâce aux mémoires qu’elle rédige 30 ans après le conflit. Déposé aux Archives départementales des Côtes-d’Armor, le précieux manuscrit, présenté par l'historienne Isabelle Le Boulanger dont on a pu par ailleurs apprécier les travaux, vient d’être publié aux éditions Coop Breizh .

Ravensbrück dans les années 1950. Carte postale. Collection particulière.

Henriette Le Belzic naît le 26 janvier 1910 à Pontchâteau, en Loire-Inférieure. Lorsque les Allemands entrent dans Nantes, à la fin du mois de juin 1940, elle travaille comme caissière aux établissements Decré à Nantes. Excédé par les circonstances, un de ses collègues, Henri Vendernotte, la convainc très vite d’entrer en Résistance. Durant près de 18 mois, elle se montre particulièrement active auprès des filières d’évasion d’aviateurs tombés en Bretagne. Malgré la répression, la jeune femme n’est pas inquiétée. Mais le 11 novembre 1941, quelques jours après l’assassinat du Feldkommandant Karl Hotz, tout se gâte. Deux hommes viennent en effet l’interpeller sur son lieu de travail (p. 14).

Après avoir perquisitionné en vain son domicile, on lui demande de « préparer une valise et des objets de toilettes » (p. 15). Elle prend alors la direction la prison d’Angers où elle passe une première nuit « pas très bonne » durant laquelle elle entend des hommes et des femmes subir de « longs interrogatoires » (p. 16). Pour la première fois, elle prend la mesure de (p. 16-17)

« la ruse et la méchanceté de nos ennemis [qui] mettent les nerfs à rude épreuve. Le seul fait d’entendre tirer les trois énormes verrous de la porte, plus les tours de clef vous fait un drôle d’effet. »

Le 20 novembre 1941, elle rejoint finalement la prison de la Santé à Paris où elle attend, durant de long mois, son jugement (p. 20). La solitude, l’enfermement, les interrogatoires, le froid de l’hiver, la chaleur de l’été rendent d’autant plus pénible son séjour. Il faut pourtant trouver des stratégies pour tenter de garder un semblant de moral. Le 24 décembre 1941, elle raconte par exemple comment les prisonniers se tiennent mutuellement éveillés en entonnant des chants de Noël depuis le fond de leurs cellules (p. 21).

Le 1er juillet 1942, Henriette Le Belzic connaît enfin son sort : elle est condamnée à mort (p. 25). Déportée en Allemagne, elle arrive le 17 septembre 1942 dans la région de Karlsruhe. Une émotion non dissimulée s’empare d’elle lorsqu’elle découvre les dégâts qui viennent d’y être perpétrés par l’aviation alliée (p. 29). Quelques jours plus tard, elle arrive au camp d’Anrath (6 octobre au 3 novembre 1942), le premier des cinq camps nazis par lesquels elle transite. Suivent ensuite Lübeck (17 novembre 1942 au 9 avril 1944), Cottbus (11 mai au 30 novembre 1944), Ravensbrück (20 novembre 1944 au 1er mars 1945) et, enfin, Mauthausen (5 mars au 22 avril 1945), en Autriche.

La forteresse de Mauthausen. Carte postale. Collection particulière.

Dès son arrivée à Anrath, Henriette Le Belzic prend conscience qu’elle s’apprête à vivre des mois durant lesquels il lui faudra « tenir coûte que coûte, moralement surtout » (p. 38). Il faut supporter l’horreur de l’internement où se mêlent l’insalubrité, la violence et la mort. Elle décrit parfaitement cet enfer lors de son arrivée à Ravensbrück (p. 49-50):

« Ah ! Comment décrire la vue qui s’offre à nos yeux ? Les mots n’ont pas assez de force pour représenter cette horreur. Peut-on imaginer cette baraque faîte en toile, aux dimensions énormes où s’engouffrent le vent, la pluie, le froid, la terre nue et couverte de boue ? Et sur cette terre vaincues par la fatigue, au milieu des objets les plus hétéroclites, 2 000 à 2 200 femmes couchées-là, ramassées les unes sur les autres dans la crainte de prendre trop de place et de recevoir les coups que distribuent généralement les Lager Polizei. Une odeur affreuse nous pend au nez. Ce mélange d’odeurs de vêtements humides et de WC, car ceux-ci sont les plus sommaires, de simples seaux exposés au fond de la tente dans la partie la plus étroite. Nous sommes là 35 Françaises… Nous regardons ce spectacle avec des yeux qui n’osent pas croire ce qu’ils voient. Ces femmes couchées là, est-ce bien des êtres humains ? »

Pour tenter de surmonter ces horreurs, et pour garder l’espoir, les internées se raccrochent aux informations qu’elles glanent au hasard d’un journal entré clandestinement dans le camp (p. 40, 57), aux bruits que font circuler les nouveaux arrivants (p. 45), ou encore au survol de plus en plus régulier de l’aviation alliée qui laisse à penser que la libération n’est plus qu’une question de temps (p. 45, 67). Henriette Le Belzic retrouve enfin la liberté le 22 avril 1945. Quelques jours plus tard, elle revoit Nantes (p. 77-78) où elle reprend le cours d’une vie qui ne sera plus jamais normale…

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

1 LE BELZIC, Henriette (édition présentée par Le Boulanger, Isabelle), Henriette Le Belzic, résistante déportée (de novembre 1941 à avril 1945), Spézet, Coop Breizh, 2018. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.