Les pionniers du cyclisme breton

Qui n’a jamais entendu l’expression : « Bretagne, terre de cyclisme » ? Malgré certaines objections que l’on pourrait formuler, puisque d’autres sports comme le football s’y sont largement développés, il faut bien reconnaître que le sport cycliste tient une place importante dans la vie bretonne. Dans un ouvrage paru aux éditions Locus Solus, le journaliste et écrivain Georges Cadiou rappelle que ce tandem Bretagne et vélo date des débuts de la « petite reine ».1

Carte postale. Collection particulière.

En préambule, l’auteur rappelle que le succès du vélo en Bretagne au tournant du XIXe et du XXe siècle est indissociable de la course Paris-Brest-Paris. Elle est lancée par Pierre Giffard, journaliste du Petit-Journal en septembre 1891. Cette course de 1 200 kilomètres se veut la concurrente de Bordeaux-Paris (p. 8) qui est, elle, dominée par les Britanniques. Pour cette première édition, on note que le vainqueur, Charles Terront, originaire de Bayonne, termine la course en 71 h 22mn. Le premier Breton est Jean Corre, de Plestin-les-Grèves, qui achève le parcours en quatrième position en 95 h 31mn (p. 10). Mais que serait cette épreuve sans la création en 1910 d’une pâtisserie en forme de roue de vélo ?

En fait, le développement des courses cyclistes résulte de la conjonction de plusieurs phénomènes, économiques mais aussi patriotiques. La fabrication des bicyclettes s’industrialise à la fin du XIXe siècle. Le nombre de marques augmente : Gitane, Warrior, Roold, Arrow, etc. (p.13). C’est pourquoi les courses deviennent un formidable outil publicitaire. D’autant plus que la presse spécialisée se développe dans les mêmes années : les titres se nomment Vélo, lancé en 1892, ou bien L’Auto-Vélo créé en 1900 par Henri Desgrange. Le Tour de France est d’ailleurs inventé par ce dernier en 1903. Ces grandes épreuves permettent aux journaux de feuilletonner les courses cyclistes qui prennent alors des accents d’aventure. L’enthousiasme suscité dans le lectorat, à une époque où les médias radiophoniques et encore moins télévisuels n’existent pas, permet de développer les ventes du journal. Mais ces courses cyclistes ne sont pas seulement mercantiles, elles ont une dimension supplémentaire. Elles sont patriotiques comme le prouvent bien les tracés des Tour de France de la Belle époque, au plus près des frontières nationales. C’est d’ailleurs ainsi que Nantes est ville étape du Tour de 1903 et Brest de celui de 1906. Notons que si la course passe par la Bretagne, aucun coureur breton n’est au départ de la première édition (p. 70-73). Dans ces années post-traumatisme de Sedan, le sport est vu comme un moyen de venger la défaite de 1870 : les jeunes hommes se doivent d’avoir la meilleure condition physique, pour mieux se préparer au champ de bataille (p. 25). Dans ce cadre, le vélo tient son rôle aux côtés de la gymnastique : des compagnies cyclistes sont créées à Joinville en 1887 afin de servir de courriers, ou de troupes de reconnaissance (p. 26).

Le développement du cyclisme en Bretagne passe aussi par la création de nombreux clubs : Vélocipède-Club Rennais en 1869 (p.13), Vélo-Sport de Nantes en 1872 (p. 15), Société Vélocipédique de Quimper en 1880 (p. 16), Véloce-Club Brestois en 1890 (p. 17), Véloce-Club Morlaisien en 1891 (p. 19), ou bien encore le Véloce-Club Guingampais en 1892 (p. 43). Mais c’est aussi une histoire d’hommes comme Jean-Marie Corre, le « premier géant de la route breton » (p. 30), ou bien Lucien Mazan, né à Plessé (44) mais dont la famille avait émigré en Argentine. Ce dernier court sous le pseudonyme de Petit-Breton pour cacher sa carrière cycliste à son père. Une carrière brillante au cours de laquelle il gagne deux fois le Tour de France, mais qui est brisée par la Grande Guerre, puisqu’il perd la vie en 1917 sur le front des Ardennes (p. 74-80 et p. 110). Notons enfin que les champions cyclistes d’alors sont également des femmes comme Amélie Le Gall, surnommée Lisette de Quintin et qui affronte les hommes à la fin du XIXe siècle, avant que des épreuves spécifiquement féminines soient créées au début du siècle suivant.

Dans ces débuts du sport cycliste, les compétitions sur piste ont les faveurs du public. Il faut dire qu’elles se vivent en direct, par rapport aux épreuves sur route que l’on doit suivre par l’intermédiaire des journaux. Parmi les premiers champions bretons sur piste on compte le peintre Jean-Bertand Pégot-Ogier (p.49-50). Une pratique de la piste qui se développe avec la construction des premiers vélodromes bretons, en remplacement des champs de foire. Le vélodrome de Kérabécam est inauguré à Brest en 1893. Deux ans plus tard, la piste y est agrandie pour mesurer six mètres de large, avec deux lignes droites de 100 mètres et deux virages relevés (p. 51).

Carte publicitaire. Collection particulière.

Les années d’après-guerre sont celles des forçats de la route, expression forgée par le reporter Albert Londres (p. 121). Le sport cycliste continue à se structurer : de nouvelles courses comme le Tour du Morbihan voient le jour (p. 122), de nouveaux vélodromes sont construits (p. 125). Dans ces années 1920, les deux grands champions bretons sont les frères Le Drogo de Pontivy, et plus particulièrement Ferdinand qui devient champion de France en 1927 et 1928, vice-champion du monde en 1931 et premier porteur breton du maillot jaune sur le Tour de France (p. 130). Les années 1930 sont marquées par ceux qu’Henri Desgrange nomme les « mousquetaires bretons ». Il s’agit de René Le Grévès, le « justicier du peloton », de Pierre Cloarec, « l’Hercule de Pleyben », de Pierre Cogan et de Jean-Marie Goasmat, le « farfadet de Pluvigner » (p. 149-156).

En définitive, l’écriture dynamique de l’auteur et le très beau travail d’édition, notamment grâce à de superbes illustrations, de la maison d’édition bretonne Locus Solus rendent agréable la lecture de cet ouvrage. Nous ne pouvons que le conseiller aux mordus de vélo, tout comme à ceux qui souhaitent mieux appréhender la place du sport dans la société bretonne d’avant Seconde Guerre mondiale.

Thomas PERRONO

 

CADIOU Georges, Les pionniers du cyclisme breton. De 1869 à 1939, Lopérec, Locus Solus, 2015.

 

1 CADIOU Georges, Les pionniers du cyclisme breton. De 1869 à 1939, Lopérec, Locus Solus, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.