Jean-Bertrand Pégot-Ogier, un peintre breton trop méconnu

Les dernières décennies du XIXe siècle et les premières du XXe forment une période faste pour l’art pictural en Bretagne. Nombreux sont les artistes de renom à venir installer leurs pinceaux et chevalet dans la région. On pense ainsi à Paul Gauguin ou Paul Sérusier qui ont fréquenté Pont-Aven. Mais cette époque est aussi celle de la formation et de l’émergence d’une jeune génération d’artistes bretons, parmi lesquels Mathurin Méheut, Jean-Julien Lemordant et Jean-Bertrand Pégot-Ogier, bien que ce dernier ne bénéficie pas de la même reconnaissance que ses pairs. Une injustice désormais réparée avec la tenue d’une exposition retraçant la vie et l’œuvre de Pégot-Ogier au musée du Faouët1 et la publication d’un magnifique ouvrage aux éditions locales Liv’Editions.2

Procession en Bretagne de Jean-Bertrand Pégot-Ogier.

Le destin de Jean-Bertrand Pégot-Ogier aurait pu ne jamais croiser la Bretagne. Il faut dire que sa famille est originaire du Gers et que son grand-père, opposant de Napoléon III, part en exil. D’ailleurs Jean-Bertrand naît le 7 mai 1877 à Salamanque en Espagne. Une décennie auparavant, son père Eugène fréquente Victor Hugo sur les îles Anglo-Normandes. Mais au début des années 1880, la famille Pégot-Ogier s’installe sur les bords du Blavet à Hennebont (p. 10-11). Jean-Bertrand poursuit une scolarité sans faute au lycée de Lorient (futur lycée Dupuy-de-Lôme), où il décroche son baccalauréat en 1893, seulement âgé de 16 ans. Deux passions animent le jeune Jean-Bertrand : la peinture qu’il aime pratiquer dans sa région (île de Groix, Concarneau, Doëlan) ; et les courses cyclistes qui connaissent alors un véritable essor (p. 19). A ses débuts, la peinture du jeune artiste tâtonne entre le synthétisme et l’impressionnisme au gré de ses maîtres, dont Henry Moret, Théophile Deyrolle et Alfred Guillou. Mais une chose ne varie pas : son envie de peindre « l’âme bretonne » (p. 52-53).

En 1905, Pégot-Ogier épouse Marie-Joséphine Ross. Sa femme, qu’il surnomme Le Lippon, devient alors une source d’inspiration artistique, et il réalise plusieurs portraits d’elle (p. 63-65). Le jeune couple s’installe rapidement à Montrouge, commune limitrophe de Paris. Là, Jean-Bertrand pense pouvoir accéder à des réseaux difficiles à atteindre depuis la Bretagne. Dès le début, il s’implique dans la vie de la communauté bretonne à Paris. Il tient notamment une chronique dans Le Breton de Paris, le journal tout juste fondé par le Dr Le Fur (p. 35). C’est de cette collaboration que naît l’une de ses œuvres les plus connues : une lithographie en Souvenir des inondations de Paris 1910. En effet, le Dr Le Fur veut récompenser les « 200 marins bretons » qui sont venus aider la population parisienne lors de la Grande crue. Le fac-similé de ce diplôme est ensuite vendu en complément du journal. Mais ce travail, qui connaît un joli succès, laisse un goût amer à Pégot-Ogier. Il se plaint de ne pas avoir été rémunéré à hauteur de son investissement (p. 61). Son profond engagement républicain le rapproche également, pendant un temps, des Bleus de Bretagne, qui s’opposent à l’Union régionaliste bretonne du marquis de l’Estourbeillon.

Au-delà de la vie de Pégot-Ogier, cet ouvrage est également l’occasion de comprendre ce qu’est un artiste. Loin de n’être qu’un homme en quête perpétuelle de l’inspiration, seul au fond de son atelier, un artiste est avant tout un entrepreneur. Pégot-Ogier cherche constamment, avec plus ou moins de succès, à placer ses tableaux dans les salons de peinture : Salon des artistes français, Salon d’automne, Salon des Indépendants etc. Pour vivre de sa peinture, l’artiste se doit d’avoir d’excellentes relations avec son marchand d’art. C’est lui qui connaît la tendance des peintures à la mode. Pégot-Ogier a même tenté dans les années 1909-1910 de s’essayer à ce commerce de l’art (p. 98-99). Un autre moyen de gagner sa vie quand on est un artiste de la Belle époque c’est de faire des illustrations pour des éditeurs ou des journaux. Pégot-Ogier collabore ainsi avec l’éditeur parisien Emile Gaillard, notamment pour la collection « A travers la France » (p. 74-75).

Marine impressionniste de Jean-Bertrand Pégot-Ogier.

Comme Méheut et Lemordant, Jean-Bertrand Pégot-Ogier devient un artiste sous les armes quand la Grande guerre débute. Ce dernier est d’abord affecté au 88e RIT de Lorient, avant d’être promu au grade d’aspirant au sein du 265e RI de Nantes « avec des Bretons » (p. 48). Il se bat dans l’Aisne en 1915. Il essaye, malgré les combats, de poursuivre son métier : « Je croque et dessine rudement, tout au crayon, pas de couleur. Photo et dessin. Ma cantine est déjà pleine et je ne sais pas comment envoyer tout cela à l’arrière. Bruyer, le graveur dont vous  avez peut-être vu les dessins dans L’Illustration s’occupe de les placer et je pense que, comme documents, j’aurai servi ! » Mais, le 2 octobre 1915, Pégot-Ogier meurt d’un éclat d’obus dans la tête à Moulin-sous-Touvent (Oise) (p. 51). Un an plus tôt, en octobre 1914, c’est Jean-Julien Lemordant qui perd la vue lors de la Bataille de l’Artois. Les temps sont durs pour les artistes bretons…

Thomas PERRONO

 

1 L’exposition se tient du 27 juin au 11 octobre 2015 au musée du Faouët (56).

2 MICHAUD Jean-Marc, BELEC Christian, Jean-Bertrand Pégot-Ogier 1877-1915¸ Le Faouët, Liv’Editions, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses et avec mention du tome en chiffres romains.