Superbes Seiz Breur

Le mouvement artistique des Seiz Breur, les Sept frères en Breton, dont René-Yves Creston, Xavier de Langlais ou encore Jeanne Malivel sont des membres éminents, bénéficie depuis la fin du XXe siècle d’un vif retour à la lumière. Celui-ci n’a d’ailleurs, à y réfléchir de plus près, rien d’étonnant. Confronté dans les années 1920-1930 au basculement dans la modernité, ces artistes souhaitent se distinguer par une production innovante tout en puisant dans le répertoire des traditions populaires, une démarche qui n’est pas sans rappeler certains discours émergeant à partir des années 1960. C’est ce que rappelle Pascal Aumasson dans un magnifique beau-livre, mais de format et donc de prix accessible au plus grand nombre, qui constitue une parfaite introduction à ces Seiz Breur .

Le vieil arbre. Estampe de Jeanne Malivel. Musée de Bretagne:  2006.0007.8.

Le propos de l’ouvrage est double. Pascal Aumusson adopte classiquement une optique chronologique qui permet de suivre les Seiz Breur de leur naissance, en 1923, jusqu’à leur dissolution au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais il ne se limite pas à ce récit et analyse également leur production artistique en termes de supports : les textiles (p. 60 et suivantes), les céramiques (p. 88 et suivantes) ou encore le mobilier (p. 118 et suivantes). Les démarches d’histoire « classique » et d’histoire de l’art sont ainsi mêlées dans ce volume, ce qui permet notamment de re-contextualiser les Sept frères dans une réflexion plus vaste ayant cours dans les années 1920-1930 sur la place de l’art dans le monde moderne, débat dans lequel figure notamment le célèbre peintre néerlandais Piet Mondrian (p. 22). C’est là un indéniable point fort de ce volume.

Celui-ci n’élude d’ailleurs nullement la dimension sulfureuse qui, quoi qu’on en dise, reste encore associée aux Seiz Breur. Les liens de Jeanne Malivel avec Breiz Atao (p. 13) ne sont aucunement cachés et la dimension idéologique des œuvres n’est pas éludée. C’est bien d’une affirmation identitaire par l’art dont il s’agit ici (p. 34), les Seiz Breur ne pouvant donc en aucun cas être déconnectés du destin et des vicissitudes du second Emsav, cette deuxième génération de militants du « mouvement breton ». Reprenant le sillage déblayé par les travaux récents de Sébastien Carney, Pascal Aumusson n’hésite à ce propos pas à parler « d’esthétique nationaliste bretonne » (p. 114), expression qui montre combien dans ce volume les considérations artistiques sont bien connectées à leurs dimensions politiques et idéologiques.

Fin pédagogue, l’auteur offre du reste une excellente synthèse sur les Seiz Breur pendant la Seconde Guerre mondiale (p. 180 et suivantes). Il importe en effet de souligner qu’en tant qu’organisation, les Sept frères ne sont mêlés « ni à des alliances avec l’autorité allemande, ni à des accords avec le gouvernement de Vichy » (p. 180). Le ralliement d’un Roparz Hémon ou certaines compromissions d’un René-Yves Creston ne sont qu’individuelles, la structure Seiz Breur restant neutre. Ceci n’est d’ailleurs pas sans poser certaines questions puisqu’une telle position exclut tout soutien à la Résistance, qu’elle soit intérieure ou à Londres, ce qui revient en définitive à se demander si, en de telles circonstances, il est moralement acceptable de ne pas choisir. Certains ne se posent néanmoins pas de telles questions, à l’instar par exemple d’un Gaston Sébilleau qui s’engage au sein de l’armée des ombres. Le contraste n’en est dès lors que plus frappant entre certains engagements individuels et une production artistique qui, quoi qu’on en dise, entre fortement en convergence avec certains préceptes de la Révolution nationale (p. 166) : l’exaltation des provinces, de la terre…

Inizi ar Yaouankiz, par Xavier de Langlais. Musée de Bretagne: 2008.0032.13.1.

C’est donc un ouvrage précieux que publient les excellentes éditions Locus Solus, volume associant à merveille l’histoire de l’art à l’histoire « conventionelle ». Ajoutons que le propos est servi par une mise en page particulièrement créative qui, sachant néanmoins se faire à l’occasion discrète, met magnifiquement en valeur la production de ces Seiz Breur. Bref, une synthèse que l’on ne saurait trop recommander…

Erwan LE GALL

AUMASSON, Pascal, Seiz Breur. Pour un art moderne en Bretagne 1923-1927, Chateaulin, Locus Solus, 2017.

 

 

1 AUMASSON, Pascal, Seiz Breur. Pour un art moderne en Bretagne 1923-1927, Chateaulin, Locus Solus, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.