Jacques de Thézac, protecteur des gens de mer
Les clichés sont tenaces. Confrontés à la fureur des éléments, les gens de mer seraient plus que d’autres enclins à évacuer dans la boisson la tension nerveuse accumulée lors des sorties en mer. De cette consommation parfois immodérée d’alcool résultent des fléaux qui, tant physiques que sociaux, doivent être combattus. Tel est bien le but que s’assigne L’Œuvre du marin breton fondée par Jacques de Thézac, une organisation philanthropique qui transpire les préoccupations morales de ce XIXe siècle qui ne peut se comprendre sans une certaine verticalité des regards. Autrement dit, du cliché hérité d’une certaine condescendance sociale à la réalité, il y a parfois une certaine marge. Il n’en demeure pas moins que le travail réalisé est considérable.
Jacques de Thézac naît à Orléans le 30 mai 1862 dans un milieu social privilégié puisque son père est receveur de l’enregistrement. Mais, de santé fragile, le jeune homme est rapidement envoyé en Charente, au grand air, afin de fortifier sa constitution. C’est là, sur le littoral, qu’il se prend d’amour pour la mer, ses gens et, peut-être plus encore, pour la voile. C’est également en Saintonge qu’il rencontre Anna de Lonlay, jeune aristocrate qu’il épouse en 1888. Le couple s’installe en Bretagne, dans une villa du Sud-Finistère qui surplombe l’Odet et Jacques de Thézac, qui vit de ses rentes, peut à loisir naviguer et côtoyer ces gens de mer qui le fascinent tant.
Disposant d’importants moyens financiers, Jacques de Thézac prend dès les années 1880 l’habitude d’illustrer de clichés qu’il réalise lui-même, avec son propre matériel photographique, le journal du bord qu’en yachtman accompli il tient scrupuleusement. Peu à peu, sa production dérive vers une véritable ethnographie, plus ou moins inconsciente, du monde maritime breton de la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui encore ses photographies constituent une source précieuse pour les historiens des gens de mer et ne sont d’ailleurs pas sans faire penser à la production, non moins importante du reste, des frères Géniaux.
Pour autant, bien qu’utile d’un point de vue ethnographique et de manière plus générale historique, le regard et l’intention photographique de ce fils d’excellente famille ne sauraient être totalement neutres. Fortuné, le yachtman est frappé par la misère qui frappe les milieux sardiniers, qu’il s’agisse des pêcheurs ou des ouvrières employées dans les conserveries. Or il est impossible de dissocier la perception de ce monde maritime par Jacques de Thézac de sa foi chrétienne d’une part, des courants hygiénistes de l’époque d’autre part, de la doctrine du catholicisme social enfin. Plus que son amour de la mer et des mondes maritimes, ce sont en effet ces trois facteurs qui permettent d’expliquer un engagement qui s’incarne en deux véritables institutions.
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| Carte postale. Collection particulière. |
La première, conçue comme une publication mêlant conseils professionnels et préceptes hygiénistes et moraux est L’Almanach du marin breton, dont la première édition est publiée en 1899. Le succès est immédiat et, encore aujourd’hui, ne se dément pas. La seconde, prolongement directe de la première, est L’Abri du marin, sorte de havre servant à la fois de dispensaire, de refuge, de salle de conférence et de bibliothèque. Là encore, le succès est rapidement au rendez-vous et douze abris sont construits en une trentaine d’années, tous dans le Finistère à l’exception d’un, situé dans le Morbihan, à Belle Ile. Toutefois, cet engouement doit être confronté à un certain nombre d’initiatives semblables qui sont prises à la même époque – on pense notamment aux Foyers du soldat dans les casernes – et qui toutes, plus ou moins, croisent les politiques de prévention menées alors par l’Etat. Exceptionnel par la force et la générosité de son engagement philanthropique, Jacques de Thézac n’en est pas moins, tant par son regard que par les politiques qu’il met en œuvre, un homme de son temps.
Erwan LE GALL |
