Joséphine Pencalet : la Penn sardin première élue municipale bretonne

Dotée d’un nom de famille qui se porte comme une devise1, Joséphine Pencalet est assurément l’une des personnalités emblématiques de la Bretagne d’entre-deux-guerres. En effet, elle est à la tête de la « grande grève » de 1924 des Penn sardin, ces femmes qui travaillent dans les conserveries de Douarnenez.  Elle est aussi le symbole de la lente conquête par les femmes du statut de citoyenne grâce à son élection au conseil municipal de la cité portuaire du Finistère en 1925.2

Carte postale. Collection particulière.

Alors que les femmes n’ont pas le droit de vote, le Parti communiste présente la candidature de plusieurs femmes lors des élections municipales de mai 1925, en application de la consigne donnée par le Secrétariat féminin de Moscou. L’influence de Joséphine Pencalet gagnée lors de la « grande grève » lui permet de figurer en quatrième position sur la liste de Daniel Le Flanchec. L’édition du 4 mai 1925, lendemain des élections, de la Dépêche de Brest relate le vote douarneniste :

« Succès pour le parti communiste. Tout s’est passé dans le plus grand calme. A l’issue du scrutin, une importante colonne de manifestants, drapeaux rouges en tête, a parcouru les rues de la ville. L’élection de Le Flanchec a été acclamée par les femmes et les enfants des marins groupés autour des bureaux de vote. […] La femme candidate a été élue avec 1 283 voix. »

Le journal Ouest-Eclair, encore plus concis, note également l’événement : « Une candidate communiste, Joséphine Pencalet, est élue. » Elle devient ainsi la première élue municipale de Bretagne. A sa une, le grand quotidien de l’Ouest indique à propos de la présence de femmes lors de ces élections locales  que jusqu’ici les bulletins portant leurs noms sont déclarés nuls. Mais la procédure change en 1925 sur intervention du ministre de l’Intérieur. Désormais, les bulletins sont décomptés, ce qui peut mettre en ballotage des candidats masculins, si une femme obtient un nombre de suffrages plus élevé. Il faut dire que la question du droit de vote des femmes est une question brulante après la Première Guerre mondiale. C’est même l’un des débats politiques majeurs en 1925. Trois propositions de lois sont déposées pour que les femmes deviennent des électrices et soient éligibles, « par des députés de sensibilités politiques différentes : le communiste Marcel Cachin (26 juin 1924), le conservateur et suffragiste convaincu Louis Marin (16 décembre 1924) et le socialiste Henry Fontanier (28 janvier 1925) ».3

Cependant, on ignore encore largement l’activité d’élue municipale de Joséphine Pencalet. Ajoutons, à la suite de l’historienne Michelle Perrot, que l’absence de sources est ici révélatrice des « silences de l'histoire » dont les femmes sont l'objet dans les archives publiques, situation qui par bien des égards est le reflet d'un pouvoir essentiellement masculin. On ainsi sait qu’elle est désignée lors du conseil municipal du 20 mai 1925 pour participer aux commissions hygiène et scolaire4, affectation qui n’est pas sans pouvoir être interprétée au prisme du genre puisque la propreté et l’éducation des enfants sont des domaines classiquement féminins. Si on sait qu’elle signe les registres de délibération jusqu’au mois d’août, cela ne suffit malheureusement pas à mesurer son influence et son travail au sein du conseil municipal de Douarnenez. En tout cas, à la fin mai, la préfecture du Finistère prend un arrêté pour faire invalider l’élection de Joséphine Pencalet. Une requête est alors déposée par l’élue communiste auprès du Conseil d’Etat. Mais la décision rendue le 27 novembre 1925 n’est pas plus favorable, « considérant qu’aucune disposition de loi ne déclare les femmes éligibles aux élections municipales ».5 Au début du mois de décembre, le nom de Joséphine Pencalet disparait alors du registre de délibération communal.

Carte postale. Collection particulière.

Le cas de l’élection de Joséphine Pencalet demeure inédit en Bretagne jusqu’à l’obtention du droit de vote par les femmes le 21 avril 1944. D’ailleurs le Parti communiste ne présente aucune autre femme aux élections municipales de Douarnenez jusqu'en 1945. On peut dès lors s’interroger pour savoir si la présence de Joséphine Pencalet sur la liste communiste de 1925 ne révèle pas plus le poids du mouvement des Penn sardin suite à la « grande grève » de 1924, qu’une réelle volonté des responsables locaux du Parti communiste de faire avancer la question du droit de vote pour les femmes. Joséphine Pencalet apparait au final comme un symbole brandi par le PCF mais vite oublié une fois l’élection invalidée. Elle en a d’ailleurs gardé toute sa vie une profonde rancœur, indiquant à ses enfants qu'il ne fallait pas voter.

Thomas PERRONO

 

1 Penn kalet signifie « tête dure » ou « têtue » en langue bretonne.

2 A ce propos  nous pouvons signaler cet article qui vient de paraître : BUGNON, Fanny, « Joséphine Pencalet, une Penn Sardin à la mairie », in GAUTIER Arlette et GUICHARD-CLAUDIC Yvonne (dir.), Bretonnes ?, Rennes, PUR, 2016. Ainsi que ce documentaire réalisé par Anne Gouérou : https://www.youtube.com/watch?v=f2VQbiiUW38

3 BUGNON Fanny, « De l’usine au Conseil d’Etat… », art. cit., p. 35.

4 Archives municipale de Douarnenez, 1 D 1/13. Cité par BUGNON, Fanny, ibid., p. 42.

5 Archives Nationales, AL 4758. Cité par BUGNON, Fanny, ibid., p. 43.