Le naufrage du Pourquoi-Pas ? et la mort de Charcot

Il est des décès qui, parce que soudains et emportant des personnalités qui ne s’appartiennent plus totalement tant elles sont devenues un point de référence, marquent profondément. Tel est le cas du célèbre explorateur Jean-Baptiste Charcot, mort le 16 septembre 1936 à bord de son Pourquoi-Pas ?, après avoir heurté en pleine tempête une roche au large de l’Islande. Allant bien au-delà d’un simple drame de la mer, la « catastrophe » parvient à réunir dans le deuil un pays pourtant profondément divisé par la victoire du Front Populaire, quelques semaines plus tôt, aux élections législatives. De L’Action Française à L’Humanité, la presse pleure le commandant Charcot et son équipage.

Carte postale. Collection particulière.

Visiblement pris de cours par la nouvelle, L’Ouest-Eclair bouleverse, vraisemblablement peu de temps avant le bouclage, sa une et publie les dépêches d’agence afin de permettre à ses lecteurs de suivre, presqu’en temps réel, la catastrophe. La rubrique « dernière heure » est également mise à profit et permet de diffuser les informations les plus récentes. A Brest, La Dépêche dispose de deux éditions et la première avoue que « les détails manquent encore sur cette catastrophe maritime ». La seconde, celle publiée en soirée, est pour sa part plus complète et offre plus de détails, quitte parfois à verser dans le sensationnalisme. Dans le Morbihan, Le Nouvelliste doit pour sa part attendre le 18 pour évoquer la nouvelle, l’édition du 17 ayant visiblement été bouclée avant que ne parvienne à la rédaction la terrible nouvelle. Il ne s’agit d’ailleurs pas là d’un cas exceptionnel et nombre de titres de la presse nationale sont obligés de faire de même.

On le devine à travers la presse, l’émotion suscitée par cette fortune de mer est immense. Il est vrai que le commandant Charcot est une véritable figure nationale, incarnation d’une certaine idée de la « grandeur de la France ». Fils d'un célèbre neurologue ayant notamment inspiré Sigmund Freud, il entreprend lui-même des études de médecine avant de vouer sa vie à l’exploration océanographique et, plus particulièrement, à l’exploration des régions polaires. Il réalise ainsi plusieurs missions permettant de compléter la cartographie antarctique, exploits qui à la manière d’un Marchand ne sont bien entendu pas totalement déconnectés de l’idée de prestige national et de conquête territoriale.   

Mais, en Bretagne, la peine est sans doute un petit peu plus sensible qu’ailleurs tant les liens de Charcot et de son Pourquoi-Pas ? avec la péninsule armoricaine sont forts. Son navire – un trois-mâts barque de plus de 40 mètres – a Saint-Servan pour port d’attache et est lancé en 1908 à Saint-Malo. Chaque année, c’est à Brest qu’il entre en chantier pour des travaux d’entretien. Surtout, une bonne part de son équipage – exclusivement composé de marins d’Etat – est breton. Le seul survivant de la tragédie du 16 septembre 1936, un certain Eugène Gonidec, est originaire de Douarnenez. Les quartier-maitres François Person et Francis Brochu sont eux de Pleslin, dans les Côtes-du-Nord. Le matelot cuisinier Jacques Kervella vient lui de Landerneau. D’autres sont originaires de Paimpol, Batz, du Minihy-sur-Rance, du Cap Sizun ou encore de Lorient.

Carte postale. Collection particulière.

A la manière de la catastrophe du cuirassé Liberté, le naufrage du Pourquoi-Pas ? et la mort du commandant Charcot sont des drames nationaux et bretons. Véritable caisse de résonnance, la presse le montre parfaitement. C’est ainsi que la une du 13 octobre 1936 de L’Ouest-Eclair, celle du lendemain des obsèques nationales des victimes du naufrage du bateau du commandant Charcot, est barrée d’un seul et unique titre surmontant une photographie du service funèbre donné en Notre-Dame de Paris : « Le suprême hommage de la France aux naufragés du Pourquoi-Pas ? ». Parmi les troupes mobilisées pour l’occasion, se trouvent des fusiliers-marins, comme pour mieux souligner la dimension bretonne de ce drame national

Erwan LE GALL