Paimpol, 1935 : quand la Glycine mettait fin à la grande pêche morutière

La mythologie de la grande pêche morutière paimpolaise s’incarne magistralement dans Pêcheur d’Islande écrit par Pierre Loti, ainsi que dans La Paimpolaise, chanson ô combien célèbre du « barde » Théodore Botrel. Ecrites respectivement en 1886 et 1895, ces deux œuvres sont contemporaines de l’âge d’or des Islandais1 et ont conféré une renommée à Paimpol  encore bien perceptible de nos jours, et ce bien au-delà de la Bretagne.

Goélette Glycine, dernier navire paimpolais armé à la grande pêche. Cliché : Service Régional de l'Inventaire de Bretagne.

Pourtant dès 1935, l’aventure de la pêche à la morue prend fin dans le port du Goëlo. C’est ce qu’annonce le Journal de Paimpol en janvier 1936 :

« le dernier navire islandais du port de Paimpol, Glycine, n’armera pas pour la grande pêche. Cette décision de l’armateur, M. Le Merdy, a pour causes : la mévente du poisson et le recrutement de plus en plus difficile de bons marins-pêcheurs. »2

La 23e et dernière campagne de la Glycine débute le 21 février 1935, comme le rapporte L’Ouest-Eclair :

« Les goëlettes (sic) Buftertley3 et Glycine ont quitté le port à la marée de ce matin. Etant donné le mauvais temps ces navires n’ont pu quitter la rade. Dès qu’une accalmie se produira ils feront route sur l’Islande. »4

Quelques semaines plus tard, au début du mois d’avril, ce même quotidien breton donne des nouvelles de la goélette paimpolaise :

« PAIMPOL – 4 avril. Le chalutier Heureux, du port de Saint-Malo, signale par radio avoir rencontré sur les lieux de pêche la goélette Glycine, de Paimpol, capitaine Le Blais, armateur M. Le Merdy. Tout bien à bord. »5

Enfin, c’est le 15 septembre 1935, « à 10 heures » que la Glycine entre « en rade de Paimpol » en provenance du Groenland6. Sans le savoir, le capitaine Le Blais et l’armateur Le Merdy viennent de mettre fin à l’épopée Islandaise du port du Goëlo.

En fait, cet arrêt de la pêche morutière à Paimpol au milieu des années 1930 n’est que le résultat d’un long déclin entamé dès la fin du siècle précédent. Alors qu’en 1895, 80 goélettes sont armées pour la pêche en Islande ; il n’y en a plus qu’une cinquantaine au cours de la première décennie du XXe siècle. En 1911, seulement 20 navires font la campagne de pêche. La Première Guerre mondiale agit comme un accélérateur du déclin de la pêche paimpolaise. Moins de dix goélettes continuent de partir en Atlantique nord dans les années 1920-1930, jusqu’à la campagne de 1934 pour laquelle il ne reste plus que la Glycine et la Butterfly.

Carte postale. Collection particulière.

Quelles en sont les causes ? Les raisons sont sans aucun doute multiples : destruction d’une partie de la flotte pendant le conflit mondial, obsolescence de la navigation à voile face à l’arrivée des chalutiers à vapeur, difficultés à recruter de la main d’œuvre pour un travail parmi les plus pénibles et dangereux qu’il soit. D’ailleurs, sur ce point, on peut se demander dans quelle mesure l’émigration bretonne vers Paris ou Le Havre, alors à son apogée dans les deux premières décennies du XXe siècle, pénalise le recrutement des équipages pour la grande pêche. Autrement dit, quand on est un paysan sans le sou du littoral de la côte nord bretonne ne vaut-il mieux pas partir gagner durement sa vie dans les usines de Saint-Denis plutôt que de la risquer sur les bancs de poisson au large de l’Islande ou de Terre-Neuve ?

Pour autant, si la pêche islandaise a disparu depuis plus de 80 ans à Paimpol, sa mémoire est encore très vivace. En témoigne le succès du Festival du chant de marin qui réunit, tous les deux ans, plus de 100 000 personnes sur les quais du port ; et plus encore avec la fête des Islandais qui se donne pour but de rendre « hommage aux marins disparus en allant pêcher la morue en mer d’Islande ».7

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 A propos de l’âge d’or de la grande pêche morutière à Paimpol,  nous ne pouvons que vous conseiller l’ouvrage de CHAPPE, François, L'Epopée islandaise, 1880-1914 Paimpol, la République et la mer, Thonon-les-Bains, L’Albaron, 1990.

2 AD22 – 4Mi 2R 11. « La pêche d’Islande », Le Journal de Paimpol : maritime, commercial, industriel, agricole et littéraire, 11 janvier 1936, p. 2.

3 En réalité la goélette se nomme Butterfly. Elle sombre au large de l’Irlande au cours de cette campagne.

4 BNF – Gallica. « Départs pour l’Islande », L’Ouest-Eclair, 22 février 1935, p. 12.

5 BNF – Gallica. « Navire rencontré », L’Ouest-Eclair, 5 avril 1935, p. 11.

6 BNF – Gallica. « Retour du Groenland », L’Ouest-Eclair, 16 septembre 1935, p. 12.

7 « Fête des Islandais. L'ambassadeur d'Islande se recueille à Paimpol », Ouest-France, 16 juillet 2017, en ligne.