La Photothèque de Bretagne : un bel outil illustrant ce qu’est le mille feuilles numérique ?

Rappeler combien internet, et de manière plus générale, les outils du numérique facilitent la vie des historien.nes et des généalogistes revient à enfoncer en courant une porte ouverte. Pour autant, il reste encore beaucoup à faire dans un contexte malheureusement difficile, les opérations de numérisation et de mise en ligne coutant d’autant plus cher que les finances publiques ne sont pas nécessairement au meilleur de leur forme. Aussi nous ne pouvons que nous féliciter de l’annonce de la mise à disposition au grand public, par la région et via un site dédié, des riches collections de la photothèque de l'invetaire du patrimoine de Bretagne.

Un interface austère mais très efficace.

Au total, ce sont donc plus de 500 000 clichés qui vont être mis soumis à la curiosité des internautes, fruits d’une collecte débutée en 1964 par le Service de l’inventaire du patrimoine de Bretagne. Il y en aura donc pour les goûts et les besoins puisque la région annonce des clichés argentiques et numériques, des cartes postales, des plans… Au passage, on mesure combien la réflexion d’Alain Croix et Jean-Yves Veillard est juste : le patrimoine est avant tout un regard porté sur le réel, matériel ou non, et est donc à ce titre une notion éminemment fluctuante1. C’est aussi cela que permettra à terme de mesurer la photothèque en ligne, ce qui fait patrimoine en 1998 ne le faisant pas nécessairement 30 ans plus tôt…

Pour autant, force est pour l’heure d’avouer notre frustration. Le processus de mise en ligne n’en est en effet qu’à ses débuts, ce qui donne parfois l’impression que le moteur de recherche tourne un peu à vide, faute d’items à retrouver. Les férus d’histoire militaire pourront ainsi passer leur chemin puisque les entrées « régiment », « infanterie » ou encore « artillerie » n’aboutissent pour l’instant à aucune réponse, comme si la Bretagne n’avait en la matière aucun patrimoine. Néanmoins, soulignons ici l’ergonomie du site. Les recherches peuvent s’effectuer de façon thématique ou géographique via une interface très intuitive. Tout est pratique et rapide, ce qui est assurément un excellent gage pour l’avenir.

Saluons de plus la volonté du Conseil régional de Bretagne d’associer le public à cet inventaire patrimonial. Classiquement, celui-ci est sollicité via divers projets collaboratifs visant à enrichir les collections ou à mieux les référencer. Il s’agit-là d’une démarche aujourd’hui habituelle – participant tout autant d’un impératif de communication politique que d’une uberisation latente des professionnels de la culture – qui ici s’insère dans une véritable continuité, puisque la Région Bretagne accorde depuis 2013 des subventions – parfois conséquentes – dans le cadre d’appels à projets. Mais là n’est sans doute le plus novateur. En effet, à défaut d’être dans le domaine public, puisque les droits sont conservés par l’Inventaire du Patrimoine, ces photographies sont en communication libre, mais soumises à autorisation de reproduction. Sans doute y a-t-il là une voie médiane intéressante à explorer, à défaut d’être pleinement satisfaisante, favorisant d’une part la créativité des utilisateurs d’archives tout en offrant, ce qui est du reste compréhensible, à la collectivité territoriale une certaine maîtrise de ses collections.

La carte postame: emblème d'un mille feuilles numérique? Carte postale. Collection particulière.

C’est donc un outil plein d’avenir et particulièrement prometteur que cette photothèque du patrimoine breton récemment mise en ligne par le Conseil régional. Bien entendu, tout n’est pas parfait et le succès reste notamment conditionné à un enrichissement drastique des collections disponibles en ligne. Pour autant, il n’en demeure pas moins que ce nouveau site pose la question de l’empilement, et plus encore de l’interopérabilité, de ces outils, chaque collectivité territoriale voulant ou presque disposer de sa propre vitrine numérique. Si L’Histoire à la source développée par les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine ou les Tablettes rennaises mises en ligne par Rennes métropole sont d’excellents outils, n’incarnent-il pas aussi le volet digital du mille feuilles administratif que d’aucuns se plaisent à dénoncer ?  Ici la question semble se poser avec d’autant plus d’acuité que la Photothèque de Bretagne annonce la mise en ligne prochaine de collections de cartes postales qui ne manqueront pas de faire doublon avec celle du Cartopole de Baud, institution régionale dont on connaît la politique particulièrement rigoureuse en termes de droits de reproduction…

Erwan LE GALL

 

 

 

1 CROIX, Alain et VEILLARD, Jean-Yves (dir.), Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 9.