Les archives de la CGT-Cheminots

C’est quelque chose que nous ne cessons de souligner : la mémoire est l’outil politique du temps présent. Partant de ce principe, il y a tout lieu de se demander si la mise en ligne le 21 juin 2018, c’est-à-dire en pleine grève des chemins de fer, de la bibliothèque numérique de l’Institut d’histoire sociale (IHS) CGT des cheminots n’a pas aussi pour but de contrer la grande collecte lancée, avec manifestement une certaine précipitation, par la SNCF à l’occasion du 80e anniversaire de l’entreprise. C’est toutefois un débat dans lequel nous ne souhaitons pas rentrer, sauf à souligner que, quoi qu’on en dise par ailleurs, la concurrence a parfois quelque chose de bons car les grands bénéficiaires de cet état de fait sont, au final, les amoureux d’histoire et d’archives ferroviaires.

Une interface efficace.

Cette nouvelle bibliothèque numérique, développée par l’IHS-CGT cheminots en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, n’est d’ailleurs pas à proprement parler un site autonome. En effet, l’essentiel des items qui peuvent être consultés sur cette plateforme peuvent également l’être via Gallica. Il n’en demeure pas moins qu’on ne peut que se réjouir de cette nouveauté qui a le mérite de singulièrement maximiser les potentialités de recherche. Quiconque en effet souhaite enquêter strictement sur l’histoire cheminote passera par la bibliothèque en ligne de l’IHS-CGT tandis que les autres pourront, en passant par Gallica, découvrir certains de ces documents alors que leur recherche de départ ne les y prédisposait nullement. Autrement dit, c’est bien une solution gagnant-gagnant qui, ici, a été adoptée.

C’est ainsi qu’au moment de sa mise en ligne, cette bibliothèque numérique propose en quelques clics un vaste corpus de journaux syndicaux dont la parution s’étend de la fin du XXIe siècle jusqu’au début du XXIe. Au total, ce sont quinze titres qui s’offrent à la sagacité des lecteurs, qu’il s’agisse des simples curieux ou des professionnels de l’histoire ferroviaire et syndicale. On profitera du reste de l’occasion pour souligner combien ces archives doivent être lues au prisme du Maitron, ce gigantesque dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’à terme un certain nombre de notices s’enrichisse à la suite de cette mise en ligne.

Preuve d’une vision élargie de l’archive, cette bibliothèque accorde dans ses rayonnages numériques une large place aux photographies mais aussi, ce qui est encore trop rare, aux objets et au matériel syndical. C’est donc bien une véritable culture matérielle et militante qui ici se donne à voir, ce qui est suffisamment rare pour ne pas être souligné. Seule ombre au tableau, les fichiers, qu’il s’agisse des reproductions numériques des archives photographiques ou des clichés figurant les artefacts syndicaux, ne peuvent être téléchargés en haute définition. La faute en revient à des droits trop restrictifs et pour tout dire assez éloignés des creatives commons adoptés par une institution telle que, par exemple, le Musée de Bretagne. Avouons qu’un tel choix ne manque pas de piquant de la part d’un syndicat qui entend défendre l’intérêt général, sans compter que cette décision va à l’encontre de toutes les études qui ont montré que c’est précisément cette liberté juridique qui assure la plus large diffusion du patrimoine.

Congrès de l'Union confédérée des syndicats du réseau Paris-Orléans, Nantes, 1922-1933 : les délégués posent. Institut d'histoire sociale CGT cheminots: 1 Fi 000 019.

Néanmoins, il est inutile de jeter le bébé avec l’eau du bain et il faut, encore une fois, se réjouir de la mise en ligne d’un tel outil auquel on ne peut, bien évidemment, que souhaiter longue vie. En effet, si les collections présentées sont pour l’heure encore relativement modestes, notamment en ce qui concerne la Bretagne, les rayonnages numériques de cette bibliothèque sont appelés à se garnir avec le temps. Gageons qu’à terme, les historiens disposeront alors d’une ressource incontournable.

Erwan LE GALL