Des archives [et un coup de com’] pour les 80 ans de la SNCF ?

Si le train est indissociable du mythe de la frontière, constitutif de l’identité américaine, ce moyen de transport est également indispensable pour comprendre l’histoire d’un territoire comme la Bretagne. Qu’il s’agisse des archives départementales ou de la SNCF elle-même, les sources sont nombreuses et les possibilités d’emploi quasi infinies. Aussi est-ce avec un appétit certain que nous avons appris la démarche, calquée sur le succès de la Grande collecte lancée dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, visant dans le cadre du 80e anniversaire de la SNCF, à solliciter auprès des particuliers des archives ferroviaires privées afin de les numériser et, ainsi, de les mettre à disposition du plus grand nombre.

Un slogan ambitieux... mais qui engage.

Comme d’habitude dans ce type d’opérations, la plateforme web développée pour l’occasion est aussi performante que facile à utiliser. C’est là une dimension sur laquelle il faut insister puisqu’une fois n’est pas coutume les archives peuvent être déposées directement en ligne. C’est même d’ailleurs la voie qui semble être privilégiée par la SNCF puisqu’aucun lieu physique de collecte n’est pour l’heure annoncé…. On entend déjà les propos moqueurs qui ne manqueront pas de railler un énième disfonctionnement de cette entreprise que les Français aiment tant, à l’instar des programmes scolaires du reste, critiquer. Il n’en demeure pas moins qu’il y là une expérience originale, novatrice et qui mériterait d’être approfondie par bien des services. Faciliter les conditions de versement des archives, n’est-ce pas en effet la première mesure à prendre pour assurer leur conservation ?

Pour l’heure, les résultats de la collecte semblent très maigres. La carte qui permet de visualiser les données collectées ne mentionne qu’une archive relative à la Bretagne : une carte de circulation ayant appartenue au Résistant Jean de Neyman, fusillé à Saint-Nazaire le 2 septembre 1944. Détail particulièrement intéressant, l’interopérabilité entre les bases de données paraît avoir été intégrée dans le cahier des charges de l’opération. En effet, le site propose un lien vers la notice en ligne du Maitron des fusillés, ressource incontournable sur cette question. C’est là un point qu’il faut non seulement souligner mais dont il faut se féliciter. A l’évidence, c’est dans le décloisonnement des corpus prosopographiques que réside pour partie le renouvellement des connaissances.

Malheureusement, et conformément à ce que l’on peut observer à propos de certains programmes d’indexation collaborative, la restitution des données au plus large public ne semble pas être totale. Prenons l’exemple de ce guide officiel des Chemins de fer de l’Etat daté de 1936, archive qui, potentiellement, intéressera quiconque souhaiterait travailler sur le Front populaire et, plus particulièrement, la mise en place des congés payés et le développement du tourisme. Si la couverture de ce beau document est aisément consultable, rien n’indique qu’il est possible de télécharger le volume, ce qui s’avère être assez frustrant. De plus, la question des licences de réutilisation de ces archives privées n’est absolument pas claire, ce qui là encore n’est pas nécessairement un bon signal.

Carte postale commémorative. Collection particulière.

Mais c’est en prenant connaissance des critères de collecte d’archives que l’on mesure la réalité de ce programme développé dans le cadre du 80e anniversaire de la SNCF. Si l’on peut comprendre que l’entreprise n’accepte pas les journaux, conservés dans bien d’autres dépôts publics, les objets de grande taille et les photocopies, on reste quand même circonspect devant la mention qui est faite « des souvenirs exclusivement personnels » tant cette formulation ne dit au final pas grand-chose. Or, quand on sait combien est potentiellement sensible l’histoire de la SNCF, on en vient à se demander si cette initiative louable ne se résume pas en fait à un gros coup de communication…

Erwan LE GALL