Un exemple de valorisation numérique

Empêtrée dans un conservatisme prenant pour une large partie sa source dans un puissant syndrome de la tour d’ivoire, la science historique a mis beaucoup de temps à accorder à la photographie un statut à part entière de source pouvant légitimement documenter le passé. Aujourd’hui, cette archive est d’un emploi commun, comme l’atteste par exemple l’historiographie de la Grande Guerre, mais il n’en demeure pas moins que la discipline a pendant longtemps accusé un retard certain, notamment au regard d’autres champs de la connaissance comme, par exemple, l’ethnologie. C’est ce décalage qui explique, par ailleurs, que les collections photographiques de nombreux musées soient régulièrement plus riches que celles de nombreux services d’archives.

Le marché des Lices à Rennes à la fin du XIXe siècle. Anonyme, Musée de Bretagne: 2000.0054.156.

A Rennes, le Musée de Bretagne est de ce point de vue exemplaire. On sait par exemple tout le travail mené par cette institution pour valoriser l’exceptionnel, tant d’un strict point de vue esthétique que dans une optique plus utilitariste et documentaire, travail photographique des frères Charles et Paul Géniaux. Un pas décisif vient toutefois d’être franchi dans ce long effort de conservation et de mise à disposition du plus grand public puisque, désormais, toutes les photographies de ces deux importants artistes bretons sont disponibles, en quelques clics seulement, en ligne sur une gigantesque base de données.

Le Musée de Bretagne et l’Ecomusée du Pays de Rennes, deux institutions culturelles relevant de Rennes métropole, ont en effet décidé de conjuguer leurs efforts pour offrir au plus grand public, via un portail commun, plus de 600 000 items en archéologie, histoire, numismatique, arts graphiques et ethnographie. Il y en a pour tous les goûts et, cerise sur le gâteau, les archives sont la plupart du temps disponibles sous licence creative commons ! Bien entendu, tout n’est pas encore parfait et bien des documents ne sont pas encore disponibles en ligne. Ce n’est, gageons-le, qu’une question de quelques mois. Un seul regret toutefois, la définition des fichiers n’est pas toujours satisfaisante et on aurait bien, parfois, afin de pouvoir scruter un détail, aimé pouvoir disposer d’une résolution à 300 DPI.

La navigation est extrêmement simple et le moteur de recherche est aussi rapide qu’efficace. L’outil est d’une prise en main assez déconcertante et il y en a pour tous les goûts : histoire politique, maritime, religieuse, militaire, du monde ouvrier mais aussi d’objets aussi spécifiques que le basket, les gares ou encore les foires.

La salle des Cadets de Bretagne, à Rennes, au début des années 1970. Cliché Michalowski Sigismond , 27 mai 1971 Rennes, Musée de Bretagne:  986.0028.10387.

Assurément, ce portail hébergé par le Musée de Bretagne constitue à l’heure d’aujourd’hui un exemple, tant du point de vue technique que juridique puisque les données sont réutilisables, ce qui constitue une évidente garantie d’une plus grande diffusion. C’est assurément un outil à placer d’urgence dans ses favoris internet et qui s’impose dès aujourd’hui comme un instrument de travail indispensable. Pour autant, l’esprit grincheux qui nous caractérise ne peut s’empêcher de s’interroger à propos des synergies à développer avec les autres outils disponibles, et en l’occurrence les excellentes mais encore trop méconnues Tablettes rennaises. N’y aurait-il pas intérêt à songer à une sorte de guichet unique numérique – n’est-ce d’ailleurs pas là la vocation de France archives ? – donnant accès à partir d’un seul et même point d’entrée à des ressources aussi diverses que celles gérées par Rennes métropole mais aussi par exemple le Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine voire même, on peut toujours se prendre à rêver, des associations telles qu’En Envor, l’histoire contemporaine en Bretagne ?

Erwan LE GALL