Les archives, l'histoire et les dangers du marché
En 2008, un scandale éclate au musée de la Résistance bretonne à Saint-Marcel. Un employé est interpellé après volé une soixantaine d'objets (dont plusieurs insignes du Special Air Service, un casque, un drapeau, une crosse de fusil...) qu'il remplaçait subtilement par de fidèles copies. La vente des originaux sur le marché des collectionneurs lui permettait de réaliser une belle plus-value. N'importe quel amoureux d’histoire est immédiatement pris de dégoût lorsqu'il découvre ce type d'agissement. Malheureusement le cas de Saint-Marcel n'est pas isolé. En effet, ces souvenirs historiques ont « acquis une dimension nouvelle au point de devenir objets de commerce et de spéculation », réalité à laquelle n'échappe par les archives1. Sans confronter stérilement les collectionneurs et les historiens, il convient néanmoins de s'inquiéter du danger que constituent ces ventes pour la recherche scientifique.
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Le musée de la Résistance bretonne de Saint-Marcel, dans le Morbihan (carte postale datant des années 1980). Collection particulière. |
Depuis quelques décennies, certains documents d'archives, en particuliers ceux contenant des signatures prestigieuses, s'achètent à prix d'or sur les marchés spécialisés. Le phénomène n'est pas exclusif à la France comme en témoignent les émissions américaines dans lesquelles des autographes de sportifs célèbres ou de présidents sont parfois estimés à plusieurs milliers de dollars2. Partant de ce constat, on comprend sans difficulté qu'il puisse y avoir des vols d'archives publiques. Citons par exemple celui des minutes notariales signées par Jean de La Fontaine3. Ce sont donc tous les trésors conservés dans les dépôts d'archives qui sont menacés par les pillages. C'est pourquoi, des règlements stricts sont mis en place pour éviter que les archives soient au contact du public sans la surveillance d'un agent, ou qu'ils puissent être dissimulés (interdiction en salle de lecture des sacoches, des pochettes opaques, des manteaux...). Quant à la loi du 15 juillet 2008, elle rappelle le caractère imprescriptible des archives publiques, ce qui permet de réprimer leur vol et donc, leur diffusion illégale.
Cet arsenal de protection, quoiqu’assez désagréable pour le lecteur qui peut vite se sentir assimilé à un suspect en puissance, est nécessaire pour éviter les pillages que certains généalogistes ont pu malheureusement constater dans les communes. Et pour cause, si la possession de l'acte original de naissance d'un ancêtre est certainement un souvenir émouvant, il n'en demeure pas moins un acte d'incivisme puisqu'il pénalise les autres usagers qui souhaiteraient consulter le document. Mais c'est aussi un acte qui pénalise de manière plus large l'écriture de l'histoire, au risque même de la falsifier. En effet, un document n'a de sens que lorsqu'il est mis en lien avec ceux qui le précèdent et le succèdent, d'où l'importance de conserver l'intégrité d'une liasse. En outre, une lacune peut permettre le développement de légendes locales persistantes. C'est ainsi que l'absence de quatre feuillets dans le registre paroissial de la petite commune de Saint-Sève près de Morlaix fit croire qu'elles auraient été arrachées par un envoyé du préfet Richard pour cacher au monde la véritable identité bretonne de Napoléon...
Les archives publiques ne sont naturellement pas les seules concernées par ces vols. En effet, les archives privées deviennent d'autant plus des objets de placements financiers que leur vente est moins réglementée par la loi. Dès lors, les héritiers sont – naturellement – tentés de vendre au plus offrant les documents familiaux, quitte à disperser les fonds. Dans certains cas, comme le déplore l'archiviste Pascal Even, « certains propriétaires d’archives ont parfaitement réalisé les bénéfices qu’ils pouvaient tirer de la valorisation des papiers qu’ils détenaient ou qui avaient fait l’objet de dépôts, ce qui les a conduits à retirer ces fonds des services d’archives pour les mettre en vente »4.
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Carte postale. Collection particulière. |
Pour l'historien, cette concurrence du marché est un ennemi de taille. Toutefois, il ne faut pas tomber dans l'idée d'une société devenue totalement vénale. Au contraire, les mises en ligne d'archives familiales sont de plus en plus nombreuses, et ce, pour le plus grand bonheur des chercheurs.
Yves-Marie EVANNO
1 Sur ce point voir EVEN, Pascal « Les archives : un marché ? », Pouvoirs 2015/2 , n° 153, p. 95-107.
2 On pense ici aux émissions de ventes aux enchères dont les chaines de la TNT française raffolent depuis le début de l'année 2015 : Pawn Stars, Storage Wars... et leur multiples déclinaisons. Pour ne citer qu’un exemple, un épisode de la série Pawn Stars montrait la vente d’une célèbre et très rare mitrailleuse Gatling datant de la guerre de Sécession !
3 EVEN, Pascal « Les archives : un marché ? », art. cit., p. 97.
4 Ibid., p. 98. |